Crédit 3/Taux 0… et pour 2025 ?

Matthieu Bailly
Matthieu Bailly

Alors que nous avons célébré cette semaine le passage de la nouvelle année, que toute l’équipe Octo AM vous souhaite radieuse à tous points de vue, personnel, familial, professionnel et spirituel, nous vous proposerons dans cet hebdo quelques lignes de résumé de l’année 2024, qui, encore une fois a fini par contredire le consensus, et quelques orientations complémentaires pour 2025, après les principales convictions que nous avions proposées dans nos hebdos précédents.

Non les taux longs n’ont pas baissé

Comme en 2023, nous voyions fleurir, début 2024, deux thèses d’investissement sur les taux : 1- les banques centrales devraient baisser leurs taux directeurs rapidement et drastiquement, 2/ le lien immédiat entre taux courts et taux longs entraînerait une baisse des rendements long terme. Poussés par ces arguments, de nombreux investisseurs, craignant de manquer le train, se sont positionnés sur les maturités longues de la courbe. Encore une fois cette année, ce scenario ne s’est pas révélé très porteur puisqu’aucun taux de référence long terme n’a baissé, qu’il s’agisse du taux allemand à 10 ans, passé de 2.05 à 2.35%, du taux francais passé de 2.6% à 3.2% ou du taux américain passé de 3.9% à 4.54%…

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Pourtant la baisse des taux directeurs a bien eu lieu mais c’est un phénomène, somme toute assez logique et que nous avons défendu tout au long de l’année, de normalisation et de repentification des courbes de taux que nous avons pu observer de part et d’autre de l’Atlantique

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Non les défauts n’ont pas explosé

    Début 2024, l’un des corollaires de la thèse des baisses drastiques de taux directeurs était un bond des défauts d’entreprise, les banques centrales agissant justement pour contrecarrer un ralentissement très fort des économies, voire des risques systémiques. C’était sans compter sur le fait que les dirigeants d’entreprises sont aussi prévoyants, voire plus, que les gérants financiers, et qu’eux aussi savent gérer la hausse des coûts de financement, les ralentissements économiques, les soubresauts politiques et autres imprévus… Alors non les défauts n’ont pas explosé et les spreads de crédit se sont même significativement résorbés tout au long de l’année, les entreprises empruntant sur des niveaux relativement serrés par rapport à leurs gouvernements de référence, a fortiori dans des pays comme la France, dont le risque politique et budgétaire a considérablement grimpé ces derniers mois (cf l’évolution du crossover ci-dessous).

    (Sources : Bloomberg, Octo AM)

    Et c’est donc encore le crédit qui a surperformé les taux, le high yield qui a surperformé l’invesment grade

      Comme en 2022 et en 2023, c’est donc encore les classes obligataires les plus exposées au crédit qui ont le mieux performé, grâce à leur coussin de portage et leur plus faible sensibilité aux taux et aux incertitudes monétaires et macroéconomiques. Et la différence n’est pas minime puisqu’un investisseur a pu connaître, sur une année civile, un différentiel de 4.75% de performance en fonction de la catégorie obligataire qu’il choisissait… Nous entendons souvent parler des ETF obligataires encore fallait il donc choisir le bon et c’est donc bel et bien de gestion active qu’il s’agit d’avoir ou non privilégier l’ETF high yield sur l’ETF souverain ou investment grade, à l’inverse d’une grande partie du consensus…

      (Sources : Bloomberg, Octo AM)

      Et pour 2025 ?

      Si nous avons déjà évoqué une certaine prudence de nos portefeuilles dans nos hebdos récents, voici les thèmes que nous surveillerons particulièrement en 2025 car nous pensons qu’ils pourraient créer des différentiels de performance ou des phases de stress importants :

      L’augmentation du « flottant » des obligations souveraines

      Un facteur majeur de resserrement des taux souverains, notamment allemand et français, pendant l’ère du Quantitative Easing était le faible flottement libre disponible pour les investisseurs, puisqu’un encours considérable était détenue par la BCE. Nous connaissons actuellement un phénomène inverse avec le Quantitative Tightening qui pourrait s’accentuer en 2025, alors même que les plans d’émissions obligataires de tous les pays européens restent élevés. Pour donner un ordre d’idée et de comparaison, mi 2024 le flottant libre était de 74 % aux États-Unis et de 57 % au Royaume-Uni, mais seulement de 33 % en Allemagne, selon les données du FMI. L’augmentation progressive du flottant, qui pourrait atteindre 40% de la dette allemande fin 2025, pourrait de facto augmenter aussi la volatilité sur les taux. Et plus les pays européens auront besoin d’émettre d’obligations en face d’une BCE qui continuera de réduire son bilan, plus la proportion de flottant obligataire desdits pays augmentera rapidement… Nous serons donc très attentifs à la France, que nous évitons encore en ce début d’année dans nos portefeuilles.

      L’augmentation de la volatilité sur les souverains européens suggérera donc toujours autant de flexibilité sur la duration au cours de l’année 2025, a fortiori avec la courbe encore quasi plate (et donc pas encore suffisamment normalisée) que nous connaissons actuellement.

      Un Stress sur le crédit

      Comme en 2023, l’année 2024 a offert au high yield un surplus de performance significatif par rapport aux catégories obligataires plus sécurisées. Depuis 2022, c’est donc un surplus de plus de 19.05% de performance qui s’est accumulé entre le high yield et les obligations d’Etat européennes et de 11.50% entre le high yield et l’investment grade. Nous avons largement défendu le high yield depuis 2022, à double titre :

      1. Parce que le rapport rendement/risque lui était largement favorable en termes d’espérance de performance
      2. Parce que les spreads de crédit et les rendements absolus lui permettaient d’absorber quasiment tous les épisodes de stress possibles.

      Si nous considérons encore le high yield comme une catégorie obligataire favorable en relatif car elle apporte toujours son complément de spread, elle n’est désormais plus exempte des stress car ses spreads de crédit sont revenus au plus serrés. Il serait tout à fait possible de voir les spreads de crédit bondir à 400 ou 500 points de base (contre 300 aujourd’hui) au cours de l’année, créant des phases de moins-values potentielles significatives, uniquement à court terme puisqu’elles seront comblées en quelques mois par le portage, ou des fenêtres d’entrée attractives selon le positionnement initial d’un investisseur…

      (Sources : Bloomberg, Octo AM)

      En termes de gestion, nous avons donc significativement réduit le high yield de nos portefeuilles et couvert une partie de nos positions du risque de marché pour ne conserver que la prime de rendement liée à notre gestion obligataire ‘value’. Comme sur la duration, nous gérerons l’exposition au crédit de manière très active au cours de l’année, alors que nous étions structurellement exposés depuis deux ans.

      Faiblesse de l’euro

      Les dynamiques économiques, budgétaires, politiques et monétaires des USA et de l’Eurozone semblent jouer une seconde manche identique à celle qu’on a connu au cours de la décennie 2010, avec des écarts encore plus importants, puisque bientôt 15 ans de différentiel se sont progressivement accumulés. Nous pourrions ainsi tout à fait voir des taux directeurs significativement plus élevés outre-atlantique qu’en Europe, ce qui pourrait conduire à un affaiblissement continu de l’Euro face au dollar. Les sujets politiques et budgétaires de certains pays de la Zone, en particulier du pilier français vacillant, pourraient ajouter à cette tendance. Il peut ainsi être opportun pour un investisseur obligataire de profiter du portage, déjà largement supérieur aux USA, tout en conservant une part de risque de change non couvert. De même, les émergents, parce qu’ils ont généralement des situations budgétaires et des balances commerciales plus saines que l’Eurozone et parce qu’ils émettent en dollar ou dans leur devise vouée à s’apprécier à long terme, peuvent être une source de diversification en s’abstenant de la couverture de change.

      (Sources : Bloomberg, Octo AM)

      Stagflation

      Qui dit faiblesse de l’Euro et déficit commercial importants peut signifier des rebonds d’inflation assez importants en Eurozone, le tout dans un contexte de morosité économique qui semble se confirmer au moins en Allemagne et en France, les deux piliers de la Zone. Le risque de stagflation devient donc significatif en Europe, ce qui pourrait porter un coup à tous les actifs risqués. La difficulté pour la BCE dans ce scenario serait d’être piégée entre la nécessité de baisser les taux pour éviter une récession trop forte et la nécessite de les maintenir élevés pour limiter l’inflation… Un dilemme donc qui sera celui de l’Eurozone pour les décennies à venir, le principe d’un appauvrissement progressif face au monde semblant inéluctable. Dans ce contexte, un positionnement obligataire équilibré entre high yield et investment grade nous semble légitime tandis que nous choisirons les maturités intermédiaires, dont le rapport rendement/volatilité potentielle nous semble largement plus favorable en cas de sujet macro-économique majeur capable de faire dévisser les obligations trop longues.

      Deficits budgétaires et crédit des Etats Européens

      Si les obligations d’Etat longues peuvent dévisser à cause d’une inflation trop importante ou de déséquilibres monétaires ou macro-économiques, elles le peuvent aussi à cause du crédit des Etats, comme l’avait montré la crise des périphériques. Sur ce sujet, les cas allemands, français et italiens nous semblent particulièrement préoccupants :

      • La France et l’Italie parce que leurs déficits budgétaires ne sont parvenus à se résorber durant ces quelques années plutôt favorables et que leur trajectoire semble dangereuse en termes de qualité de crédit
      • L’Allemagne parce qu’elle était parvenue jusqu’à présent, par ses excédents commerciaux et budgétaires ainsi que son dynamisme économique à contrebalancer une bonne partie des excès des autres pays de la Zone Euro, notamment aux yeux du reste du monde, c’en est désormais fini et l’Eurozone pourrait bien voir son crédit chuter significativement auprès des investisseurs étrangers, en particulier les banques centrales émergentes, friandes de devises de haute qualité. L’Euro se rêvait en devise de réserve aussi puissante que le dollar, les deux années récentes montrent que se crédibilité et son attrait sur le plan global a significativement chuté depuis 2023 face à la devise américaine.

      Partager cette publication
      URL de partage
      Précédent

      Alice de Bazin est nommée directrice générale de CPR Asset Management

      Suivant

      « L’Amérique prend tout » – jusqu’à quand ?

      Accès Premium actif !

      Vous avez désormais accès à toutes les publications Premium.