Donald Trump et Auchan, deux actualités difficiles à marier dans un titre d’hebdo crédit…

Donald Trump
Donald Trump

Difficile de commencer cet hebdo sans écrire, au moins quelques lignes, sur l’élection de Monsieur Trump, surtout parce que le risque politique représentait, et on l’a bien vu en France, un sujet majeur pour les marchés en cette année 2024, comme nous l’avons souligné depuis janvier. Quelques constatations du point de vue exclusivement financier, celui qui nous concerne :

  • L’issue du scrutin, claire et sans appel, permet de supprimer la possibilité de recomptages et hésitations sur le nom du président pour les semaines à venir, ce qui est plutôt une bonne chose car l’incertitude est la principale source de volatilité pour les marchés qui apprécient de pouvoir s’appuyer sur une base solide, quelle qu’elle soit.
  • Les marchés anticipaient déjà largement, contrairement aux médias, la victoire de Donald Trump, comme en témoigne le graphe de la hausse des taux longs américains bien avant l’élection. Beaucoup d’analystes écrivent d’ailleurs à ce sujet que les taux longs américains monteront du fait de ce choix du peuple américain :
    • 1/ ils avaient déjà significativement monté avant et pourraient avoir déjà fait l’essentiel du chemin,
    • 2/ les deux programmes étaient assez comparables du point de vue de la hausse de l’endettement et de l’inflation, bien que pour des causes différentes. Pas de surprise donc de ce point de vue.
  • Du point de vue de la dette, le graphe ci-dessous, publié avant l’élection, montre une trajectoire sans appel de la hausse de l’endettement américain pour les 10 prochaines années et les deux programmes offraient à peu près les mêmes perspectives en termes de budget final, quoique les postes de recettes et de dépenses divergent sur certains points.
  • Du point de vue européen, s’il y avait bien une convergence entre les deux programmes, c’était l’attitude relativement protectionniste, notamment vis-à-vis de la Chine, en premier lieu, et ensuite de l’Europe, en tant que partenaire commercial de premier plan. Si les méthodes de Donald Trump seront sans doute proches voire même plus agressives de celles du premier mandat, celles de Madame Harris auraient pu être plus policées, néanmoins le résultat final économique et financier (nous ne parlons pas ici de sujets sociaux ou géopolitiques) aurait été identique pour l’Eurozone.
  • Enfin, si les marchés avaient pu être surpris par ces méthodes agressives de Monsieur Trump lors du premier mandat, ils le seront probablement un peu moins en ce second mandat et pourraient absorber plus sereinement les âpres négociations et autres sorties qui s’annoncent inévitables pour les cinq années à venir.

L’autre sujet de cet hebdo, car il en faut pour tous les goûts, sera une entreprise qui a beaucoup fait parler d’elle ces derniers mois, tant dans la presse économique pour sa situation financière en forte détérioration que dans les médias grand public parce qu’elle est un des symboles d’une société qui évolue. Il s’agit de l’entreprise Auchan analysée ici du point de vue d’un gérant obligataire qui se pose la question de la capacité de l’entreprise à honorer ses dettes. Nous avons entendu en effet beaucoup d’attaques sur la situation du groupe ou sur sa gestion (notamment du gouvernement français, qui, au regard de sa situation budgétaire et de ses errances de gestion récurrentes, pourrait se souvenir du proverbe de la paille et de la poutre et se concentrer sur son budget 2025…), de comparaisons entre Auchan et Casino ou entre Auchan et d’autres entreprises activant des plans sociaux importants ou des restructurations financières.

D’ailleurs, son taux d’emprunt a bondi ces derniers mois, flirtant avec les 10% sur les maturités au-delà de trois ans et suggérant un risque de défaut important. Voici donc quelques notes de notre point de vue obligataire, en commençant par préciser que les fonds Octo Rendement 2027 et Octo Rendement 2028 détiennent respectivement  0.8% et 0.6% d’obligations Auchan 2028 en portefeuille, ce qui laisse augurer de notre opinion sur l’émetteur : un risque de défaut limité à horizon 3 ans, mais peu d’intérêt à se positionner sur les obligations les plus courtes, peu rémunératrices et les plus longues, au rapport rendement/risque encore trop faible. Le segment intermédiaire de l’émetteur nous semble donc le plus opportun, tout en restreignant une position sur l’émetteur à une part très faible d’un portefeuille, la volatilité sur l’entreprise pouvant être encore forte et les plans d’amélioration du bilan restant à concrétiser.

  • Auchan n’est pas Casino : nous ne parlerons pas ici de sujets opérationnels mais de structure actionnariale. N’oublions donc pas que Casino était une entreprise plutôt efficace et rentable du point de vue opérationnelle mais a périclité du fait de son actionnaire
    • trop agressif en termes d’endettement de la myriade de holdings du groupe,
    • trop gourmand en termes de dividendes destinés à payer les intérêts d’emprunts
    • peu regardant en termes de gouvernance et de respect du rang chirographaire, puisque depuis 2019 et la restructuration de Rallye (holding détentrice de Casino), les intérêts de l’actionnaire de la holding avaient pris le pas sur les intérêts, normalement prioritaires, des créanciers, des minoritaires et même des salariés, valsant entre cessions d’actifs et plans sociaux dès 2020 alors même que l’entreprise prévoyait en parallèle de verser des dividendes massifs à sa holding. Fabienne Caron chez Kepler Cheuvreux précisait bien en 2020 « Cela veut dire qu’en 2023, Casino va devoir distribuer 2 milliards d’euros de dividendes pour en remonter la moitié vers Rallye, ce qui s’ajoutera à ses propres besoins de financement ». Le sort en a finalement décidé autrement…

Auchan est loin de ces problématiques et le groupe familial est une entreprise classique, pas la filiale d’une cascade de holdings surendettées et hyper agressives à tout point de vue, à la croissance et à la stratégie financière relativement prudente, ce qui lui offrira trois atouts importants qui manquaient à Casino : plus de temps, un assainissement financier plus simple à opérer, des options stratégiques organiques et externes plus variées à mettre en place.
 

  • Auchan n’est pas Atos : ici encore, si Auchan a des difficultés importantes de rentabilité et de génération de trésorerie, c’est plus parce qu’elle est restée extrêmement conservatrice sur son positionnement que parce qu’elle aurait réalisé des projets de développement coûteux et hasardeux. Ainsi, l’entreprise n’a pas, par exemple, augmenté fortement son endettement, ou acquis moultes projets ou concurrents, ou choisi de modifier massivement ses opérations… On peut donc lui reprocher de n’avoir pas suffisamment anticipé les modifications des modes de consommation ou de ne s’être pas suffisamment renouvelée, ou d’avoir été un peu trop patiente sur la fermeture ou la réduction de taille de certains magasins mais les portes de sorties restent concrètes, réalisables et à un horizon suffisamment court pour rétablir les comptes de l’entreprise. Quelques indices à ce sujet :
    • Des actifs concrets : contrairement aux entreprises comme Atos ou Worldline, Auchan est propriétaire d’actifs concrets en face de son endettement, ce qui lui permet de pouvoir se désendetter plutôt que de déprécier un goodwill au fil de l’eau qu’il ne se matérialise pas. Le goodwill et l’incorporel, actifs que nous considérons comme quasi-fictifs et devant être pris avec beaucoup de précaution par un créancier, ne représentent ainsi que 12% des actifs d’Auchan, alors qu’ il représentait 90% chez Atos…
    • Un endettement stable : Auchan n’a pas eu de stratégie d’investissement hasardeuse qui aurait fait bondir son endettement, c’est plutôt son chiffre d’affaires qui a d’abord baissé sur une décennie puis s’est stabilisé. Ainsi, le manque de perspectives, le rapprochement d’échéances, le manque de croissance inquiète les investisseurs, à juste titre, mais l’entreprise, qui représente encore 8% du marché français de la grande distribution, vit plutôt une crise d’adaptation qu’une crise de surendettement. On pourrait ainsi plus la rapprocher de cas comme Mylan, Teva ou Unibail qui ont dû s’adapter à un nouvel environnement et à une baisse de leurs revenus que de cas comme Atos ou Altice qui avaient clairement fait preuve d’outrance dans leur endettement.
  • Auchan n’est pas Crédit Suisse : si la comparaison paraît osée, c’est parce que nous parlons de liquidités que nous évoquons le cas de Crédit Suisse. Et ce sont bel et bien les liquidités qui ont manqué à la banque en quelques semaines pour faire face à ses engagements. Gardons ici en tête qu’Auchan vit une crise de solvabilité et devra revoir son modèle opérationnel, mais qu’elle peut largement faire face à ses engagements courts terme. Ainsi, sa trésorerie de 1.8 milliard d’euros et ses flux de trésorerie nets à peu près neutres avec une centaine de millions de free cash flows annuels lui offrent entre deux et trois ans de sécurité sur ses échéances.
  • Enfin Auchan n’est pas Orpea : là encore, si on lit deci delà des articles assassins sur l’entreprise parce qu’elle opère une restructuration lourde ou ferme des magasins, n’oublions pas que devant une situation de stress de solvabilité, l’entreprise a le devoir de réagir et il n’y a pour le moment aucun indice suggérant qu’Auchan serait en faute de gouvernance ou de gestion dans les moyens qu’elle met en place pour retrouver une solvabilité correcte. Nous préférerons d’ailleurs une entreprise mettant en place des solutions rapidement qu’une autre repoussant les problèmes en promettant cessions et jours meilleurs, jusqu’à arriver à une situation quasi inextricable comme ce fut le cas pour Altice ou Atalian.

 
En conclusion, nous pensons pour le moment qu’Auchan a encore beaucoup de d’alternatives opérationnelles et financières pour sortir de l’ornière, que ses taux de rendement à 8% ou 9% à trois ans rémunèrent correctement le risque sans pour autant représenter une opportunité majeure d’investissement au regard du stade où en est l’émetteur et des opportunités encore relativement variées sur le marché obligataire et que la volatilité liée à l’actualité de l’entreprise et à une conjoncture économique, sociale et politique française très dégradée devrait rester élevée. Ceci explique nous puissions conserver une position limitée dans des fonds à maturité fixe, comme Octo Rendement 2027 et Octo Rendement 2028, qui cherchent à maximiser le portage et que nous ne nous soyons pas positionnés sur un fonds flexible plus opportuniste comme le fonds Octo Crédit Value, recherchant plutôt un rapport performance/volatilité combiné avec un point d’entrée optimal et bénéficiant d’un gisement et de sources de performances beaucoup plus larges qu’un fonds à échéance.

Partager cette publication
URL de partage
Précédent

Que nous réserve Trump 2.0 ?

Suivant

Le Groupe Banque Richelieu lance sa banque d’affaires,Richelieu Corporate Finance

Accès Premium actif !

Vous avez désormais accès à toutes les publications Premium.