[EcoduMatin] Si vis pacem

Qui a en tête l’essai publié en 1795 par Emmanuel Kant, l’enfant du Königsberg prussien devenu le Kaliningrad russe : vers la paix perpétuelle ? Elle peut pourtant éclairer la situation actuelle. D’une part, l’attitude du Président Poutine foule au pied les principes kantiens permettant de passer de la guerre, comme état de nature, à la paix, comme état de droit ; de l’autre, l’Europe de l’UE est imprégnée d’un économisme pacifique. Les positions de la Russie et de l’Union Européenne sont trop à l’opposé pour qu’une cohérence entre les deux apparaisse facilement. Au moins, l’un des deux protagonistes doit faire évoluer sa « doctrine » et ce sont les pays européens qui se lancent.

À Kaliningrad, un buste d’Emmanuel Kant a été installé devant l’université qui porte son nom (et aussi une statue en pied devant la gare). J’ai lu les deux informations ; je pense qu’elles sont exactes. Kant, l’enfant de la province de Prusse-Orientale (plus précisément de la ville de Königsberg) devenue l’oblast russe de Kaliningrad après la deuxième guerre mondiale, a publié en 1795 son essai « Vers la paix perpétuelle ». N’y a-t-il pas ici de quoi mettre doublement en résonnance la psyché du Président Poutine : rechercher les conditions d’une paix durable et comprendre ce qui distingue les cultures ouest-européennes et russes (n’est-il pas germanophone et n’a-t-il pas « travaillé » en Allemagne de l’Est ?) ? Kant formule un certain nombre de principes juridiques nécessaires pour instaurer les conditions d’une paix mondiale, sans avoir à recourir à la violence (et que par ailleurs seule la constitution républicaine peut sauvegarder ; mais c’est une autre histoire !). Insistons sur un point : aucun Etat n’a le droit de disposer d’un autre, car ce serait « comme une greffe, lui qui comme souche a sa racine propre ; c’est lui ôter son existence comme personne morale et faire de cette personne (morale) une chose ». N’en est-on pas là aujourd’hui, avec la volonté russe de prendre en main le destin de l’Ukraine ?

L’essai du philosophe prussien interpelle aussi tous ceux qui suivent l’économie et les marchés financiers. D’un côté, Kant est un fervent partisan de la liberté de commerce entre pays : « les échanges économiques sont un moyen efficace de rapprocher les Nations, car elles y trouvent des intérêts mutuels et sont peut-être la meilleure garantie de paix » ; de l’autre, il insiste sur les aspects pernicieux pour un Etat de contracter et entretenir la dette « comme une machine de réaction réciproque des puissances, un système de crédit… Système ingénieux d’une dangereuse puissance financière, un trésor pour faire la guerre ». Ne peut-on pas voir poindre dans ces remarques les « pousses » de cet ordo-libéralisme qui s’épanouira dans l’Ouest de l’Allemagne à partir des années d’après-guerre ?

Résumons la situation : d’une part, l’attitude du Président Poutine foule au pied les principes kantiens permettant de passer de la guerre, comme état de nature, à la paix, comme état de droit ; de l’autre, l’Europe de l’UE est imprégnée d’un économisme pacifique, qui trouve ses racines dans les écoles classiques et keynésiennes. Rappelons-en la logique très rapidement.

  • Vision classique et selon Montesquieu : « Partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces » :
    o pour Adam Smith, le travail est la source de la richesse, pas les excédents commerciaux (contrairement aux mercantilistes) ;
    o il faut distinguer l’emploi productif de l’emploi non-productif ;
    o les militaires appartiennent à cette deuxième catégorie ; les dépenses militaires doivent être calibrées au strict minimum.
  • Vision keynésienne : l’espoir d’un monde sans guerre :
    o la guerre comme double préférence pour la dépense par rapport à l’épargne et pour le présent par rapport à l’avenir ; est-ce ainsi que le capitalisme fonctionne ? Bien sûr que non !
    o la guerre comme « fossoyeur » de l’objectif économique d’un taux d’accumulation du capital qui dépasse la croissance démographique.

Les positions de la Russie et de l’Union Européenne sont trop à l’opposé pour qu’une cohérence entre les deux apparaisse facilement. Au moins, l’un des deux protagonistes doit faire évoluer sa « doctrine » et ce sont les pays européens qui se lancent. Le but, sans trop de surprise, est d’esprit « guerre froide », à savoir moins de liens commerciaux avec la Russie et plus de dépenses militaires.

Il y a d’abord l’ambition de réduire les importations de gaz russe des deux tiers d’ici un an. La formulation est volontariste, même si la réalisation est des plus classiques. Sans surprise, elle passe par la combinaison d’une accélération de la transition vers les énergies renouvelables, une montée en puissance plus rapide des programmes d’efficacité énergétiques et une diversification des sources d’approvisionnement gazier. Est-ce possible d’aller aussi vite ? Rappelons que la semaine dernière l’Agence Internationale de l’Énergie retenait l’hypothèse d’une réduction de la dépendance gazière à la Russie d’un tiers, voire de la moitié, si dix mesures précises (elles appartiennent aux champs évoqués ci-dessus) étaient prises dès cette année. L’« optimisme de la volonté » est assurément d’actualité dans les circonstances traversées ; mais pondérons-le au trébuchet du « pessimisme de l’intelligence ».

Il y a ensuite l’ouverture d’un débat sur un fond européen destiné à financer des dépenses dans les domaines de l’énergie et de la défense. Une fois encore, on en est au stade de l’expression d’un vouloir politique. La taille et la façon de fonctionner restent hic et nunc très incertains. On parle d’une enveloppe pouvant aller de 100 à 300 milliards d’euros. Le montage pourrait s’apparenter à celui du programme SURE (Support to mitigate Unemployment Risk) lancé en 2020 dans le cadre de la lutte contre les effets économiques de la pandémie. Si on comprend bien, des émissions garanties par tout ou partie des Etats-Membres de l’UE et mises proportionnellement au passif du bilan des pays bénéficiaires et non à celui de l’Union.

L’Europe veut « bouger » et c’est bien. Comme ou voudrait que la Russie fasse de même, en comprenant que l’attitude de son pouvoir politique ne conduit qu’au malheur, le sien et celui des autres.

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