Jean-René Giraud, CEO & Co-fondateur de Trackinsight: « Le pari est pris que le régulateur européen ouvrira la voie aux ETFs actifs non transparents dans les années à venir »

ETFs un jour….

Par Jean-René Giraud, CEO & Co-fondateur de Trackinsight

Les ETFs ont toujours été, et resteront probablement encore longtemps, un sujet de discussion délicat dans l’univers feutré de la gestion de fortune.

Très souvent associée à une gestion passive à moindre coût et sans valeur ajoutée réelle, perturbatrice des modes de distribution et de rémunération habituels, cette innovation qui vient de fêter son premier quart de siècle d’existence est source de tensions mais trace néanmoins sa route avec une constance et une détermination qui peut effrayer les acteurs de la gestion dite ‘traditionnelle’.

Trackinsight est né du besoin des investisseurs de trouver leur voie dans l’univers nouveau et encore mal fléché des ETFs, il ne sera pas surprenant que nous soyons accusés de parti pris. Convaincus que cette forme de gestion collective va prendre le pas sur d’autres formats, il m’a paru important de partager quelques éléments d’analyse et d’opinion qui pourront, je l’espère, contribuer à un débat constructif.

L’industrie des ETFs a connu une croissance ininterrompue à deux chiffres pendant les vingt dernières années pour atteindre $10,000 milliards. En 2021, la collecte nette constatée dans les ETFs a atteint le niveau de la collecte dans les fonds traditionnels, alors même que les ETFs ne représentent pas 20% des actifs gérés collectivement dans des structures de fonds communs.

Comment avons-nous pu en arriver là ?

Les commentateurs attribuent généralement cette explosion à la transition de la gestion active vers la gestion passive. Cette révolution a en effet probablement contribué au succès des ETFs mais ne saurait en être le seul moteur. Si cela avait été le cas les flux se seraient simplement déplacés vers la gestion indicielle classique.

Ce raccourci est probablement à mettre au compte de la confusion générale qui consiste à associer ETF et gestion passive. Rappelons-le, l’acronyme ETF signifie ‘Exchange Traded Fund’ ou ‘fond négocié en bourse’ (L’acronyme Canadien pour les ETFs est d’ailleurs ‘FNB’), rien n’associe donc un ETF à la gestion indicielle.

En Europe, la cotation des parts d’ETFs sur un marché organisé impose toutefois une obligation de transparence du processus de gestion, avec le devoir d’offrir une performance proche de celle d’un indice. Cependant, rien n’empêche le promoteur du fonds de travailler de concert avec le fournisseur d’indice pour offrir une exposition bien éloignée des traditionnels indices pondérés par la capitalisation.

Le pari est pris que le régulateur européen ouvrira la voie aux ETFs actifs non transparents dans les années à venir

JEAN-RENÉ GIRAUD, CEO & CO-FONDATEUR DE TRACKINSIGHT

Ainsi a-t-on vu fleurir une multitude de stratégies sectorielles, thématiques, tiltées, optimisées, quantitatives, responsables qui, pour certaines, ne sont pas très éloignées d’une gestion dite ‘active’ avec des paris forts sur des primes de risques spécifiques ou des sélections de titres sur des critères quantitatifs voire extra financiers.

L’histoire ne s’arrêtera pas là puisque la SEC a autorisé le développement d’ETFs dits ‘semi transparents’ qui permettent d’héberger une stratégie totalement active dont les détails ne sont communiqués qu’aux teneurs de marché pour assurer le bon fonctionnement du marché secondaire, une information synthétique étant fournie à l’investisseur pour leur permettre de bien appréhender la qualité de l’acte de gestion. 60% des lancements d’ETFs aux Etats Unis l’ont été pour des stratégies actives !

Le pari est pris que le régulateur européen ouvrira la voie aux ETFs actifs non transparents dans les années à venir, il ne parait donc plus tenable de prétendre associer les ETFs à la gestion indicielle uniquement.

Le succès des ETFs s’analyse différemment selon le coté de l’atlantique ou on se place. Les États-Unis ont vu très tôt une croissance forte de ce support auprès des investisseurs finaux, beaucoup plus impliqués dans la gestion de leur épargne. Le succès des offres de trading en ligne a soutenu un format qui se prête bien à des échanges rapides, impulsifs et dématérialisés. Les professionnels et institutionnels américains ont été plus lents à prendre le train en marche mais sont désormais acquis et embrassent le format ETF avec enthousiasme.

L’Europe a fonctionné à contrecourant, probablement en raison d’un marché beaucoup plus intermédié par les banques et les assureurs, mais aussi par manque de culture financière de la part du grand public.

L’intérêt pour les ETFs en Europe a commencé avec la gestion institutionnelle fortement motivée par les économies d’échelles permises par le format ETF (simplification de l’onboarding client tant de la part de l’investisseur que du promoteur, frais modérés). Quelques poches de résistances restent en place notamment en Suisse avec le droit de timbre qui obère les bénéfices au profit de la gestion traditionnelle active ou indicielle.

Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, personne ne pourra cependant nier que la perception des investisseurs en ETFs est clairement en faveur de ces derniers : les ETFs sont considérés comme économiques, offrant une valeur ajoutée suffisante par rapport au prix et un accès aisé et immédiat. Le fonctionnement du marché organisé secondaire a par ailleurs démontré sa robustesse au cours de deux décennies qui n’ont pas été exemptes de périodes de stress de marché intense.

Si l’intérêt pour le format ETF est désormais solidement acquis du côté des investisseurs privés individuels et professionnelles, il ne faut pas négliger la profondeur de la transformation que cette évolution entraîne dans l’écosystème.

Jean-René giraud, ceo & co-fondateur de trackinsight

Le très fort intérêt de l’industrie pour les ETFs a également eu pour conséquence un transfert inédit des investissements et de l’innovation sur ce format. Peu de gérants se lancent dans la promotion d’une nouvelle stratégie sans se demander au préalable si le format ETF pourrait être une option viable. La conséquence immédiate est une richesse et une profondeur des gammes ETFs clairement au désavantage de la gestion traditionnelle, avec un effet d’entrainement immédiat sur les investisseurs qui trouvent, dans les quelques dix mille ETFs cotés dans le monde, toutes les stratégies des plus classiques aux plus ésotériques.

Si l’intérêt pour le format ETF est désormais solidement acquis du côté des investisseurs privés individuels et professionnelles (« demand »), il ne faut pas négliger la profondeur de la transformation que cette évolution entraîne dans l’écosystème (« supply »).

L’industrie de la gestion d’actifs a pris une importance considérable au cours des cinquante dernières années et est portée par un écosystème fort, celui dit du ‘buy-side’ et de la distribution de fonds. Dans cet écosystème, les rapports de force sont désormais bien établis et les positions relativement stables.

Le développement des ETFs implique de nouveaux acteurs historiquement associés aux marchés de capitaux et à la banque (bourses, brokers, market makers) qui tiennent avec le fonds coté une opportunité de perturber les équilibres existants et de conquérir de nouveaux marchés. Il n’en faut pas plus pour motiver ces acteurs à investir massivement dans le développement des infrastructures et la promotion des ETFs.

Mais c’est dans la distribution que l’on constate les plus importantes craintes, l’ETF offrant la possibilité d’échapper aux modèles de distribution captifs (un ETF peut être négocié en bourse avec comme seul intermédiaire un courtier en ligne).

La disruption de la distribution des solutions d’investissement par les ETFs pour les solutions technologiques est un sujet qui a tenu l’industrie en haleine depuis deux décennies. Il faut toutefois convenir qu’aucun acteur n’a fait bouger les lignes de manière significative. Toutes les initiatives, y compris les plus médiatisées et celles ayant généré le plus important engouement de la part du Private Equity avec des valorisations astronomiques n’ont, à ce jour, obtenu que des résultats que l’on peut considérer anecdotiques.

Pour beaucoup, lancer un ETF est une fin en soi et voir son produit coté en bourse suffisant pour conquérir des actifs. Rien n’est moins vrai et l’industrie commence à réaliser que la promotion et la distribution d’un ETF nécessite des moyens marketing et commerciaux considérables.

Il nous parait évident que de nouveaux modes de distribution vont émerger et se substituer aux canaux existants.

Jean-René giraud, ceo & co-fondateur de trackinsight

Pour s’en convaincre, il suffit de constater dans les grands médias le déferlement de publicité pour des produits quand la loi l’y autorise et, sur le terrain, les armées de spécialistes produits prêts à accompagner les investisseurs et distributeurs dans le choix des supports destinés à leurs clients.

Il nous parait évident que de nouveaux modes de distribution vont émerger et se substituer aux canaux existants, il est fort probable que ces modes soient digitaux et portés par les géants de la distribution en ligne. Les acteurs devront trouver dans cette évolution une place nouvelle, mais rien ne laisse toutefois présager que les modes de distribution captifs ne seront pas remplacés un jour par d’autres modes du même type.

L’accès au client final et l’accompagnement resteront sans aucun doute le cœur du réacteur de cette industrie réinventée.

En conclusion, il nous parait important pour l’industrie de ne pas se projeter en opposition au développement des ETFs mais plutôt d’imaginer les nouvelles formes de distribution qui s’offrent à eux avec les économies d’échelle et le potentiel de croissance qui s’offre à ceux osant les nouveaux modèles de distribution et une transition gérée plutôt que subie.


A propos de Trackinsight

Trackinsight est un service en ligne d’analyse de fonds négociés en bourse lancé en 2014 par Koris International. La plateforme fournit des outils de comparaison sur des fonds négociés en bourse distribués en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Le 17 octobre 2016, Trackinsight a complété une levée de fonds de 2,5 millions € auprès de NewAlpha Asset Management et de Aviva.

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