France /Grèce : même taux = même risque ?

Matthieu Bailly
Matthieu Bailly

Alors que les taux longs se tendent des deux côtés de l’Atlantique, la France s’enfonce dans un paradoxe économique et financier. Son coût d’emprunt atteint des sommets inédits, se rapprochant dangereusement de celui de la Grèce, malgré des fondamentaux économiques et des notations nettement plus favorables. Matthieu Bailly, d’Octo Asset Management, revient sur les raisons de cette dichotomie, où se mêlent dynamique de marché, perception des investisseurs et poids de l’endettement public.

Entre les soubresauts et négociations politiques multiples de part et d’autre de l’Atlantique et le resserrement généralisé des taux longs depuis quelques jours, la France se retrouve bien à la traîne de ce « rally souverain » et son taux n’a cessé de s’écarter de celui de la référence allemande à 10 ans, le Bund, comme en témoigne le graphique ci-dessous. Nous noterons donc que, parmi les pays européens, la France est désormais le pays qui paye ses emprunts le plus cher, passant désormais, à un horizon 10 ans, après l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et faisant jeu égal avec la Grèce… Et ce n’est évidemment pas parce que la France est plus dynamique économiquement ou parce que son inflation est supérieure à celle de ses acolytes européens que le taux d’emprunt de la France est le plus élevé, ce qu’on peut dire des USA dont le taux d’emprunt est actuellement au-dessus de 4%, mais bel et bien parce que les investisseurs ne peuvent ou ne veulent plus absorber la masse de nouvelles obligations qui, chaque jour, sont émises pour payer le déficit budgétaire…

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Et pourtant, le rating de la France reste bon et largement au dessus de celui de la Grèce, alors pourquoi ? nous diront certains observateurs… Car effectivement, les agences de notations attribuent encore des notes crossover à la Grèce, entre BB+ et BBB-, tandis que l’Etat Français est assorti de notations bien meilleures, entre AA- et AA, soit beaucoup plus proche de l’Allemagne que de la péninsule hellénique et encore significativement au-dessus de celles du Portugal ou de l’Irlande.

Plusieurs facteurs expliquent cette dichotomie entre le rendement et la notation et les agences comme Moody’s ou S&P seraient capables de publier des rapports de plusieurs dizaines de pages pour expliquer, par moultes ajustements et circonvolutions que cette bizarrerie n’est pas une incohérence mais revêt au contraire une logique implacable. Parmi ces facteurs explicatifs nous trouverions probablement l’historique, la capacité à lever plus d’impôts, la diversification du tissu économique mais en fait, en tout premier lieu, la taille…

Du côté de la France la taille joue en faveur d’une meilleure notation, ce qui peut revêtir une certaine logique puisque plus un pays est important, plus il a de marges de manœuvre sur ses partenaires économiques et financiers, plus il est systémique, plus son économie est stable et diversifiée. Il pourra donc supporter un endettement plus lourd qu’un petit pays mono-secteur dont l’économie peut être très volatile, dont la banque centrale et la monnaie sont insignifiantes et qui n’aura que très peu de latitude vis-à-vis de ses partenaires et créanciers. Ainsi, on peut comprendre qu’un pays comme la Grèce, dont le PIB vient pour environ 40% (directement ou indirectement) du tourisme et pour 7% du fret maritime soit plus risqué, à endettement équivalent, à celui d’un pays comme la France, beaucoup plus diversifié. L’écart de notation peut donc se justifier de ce point de vue.

Mais, quoiqu’on ait l’impression d’entendre ou de lire deci delà, le taux d’emprunt de la France équivalent à celui de la Grèce reflète-t-il un endettement équivalent ? Point du tout puisque l’endettement de la France par rapport au PIB est actuellement autour de 110% tandis que celui de la Grèce, malgré ses efforts passés et sa situation économique correcte depuis quelques années est encore à 160%. Non seulement la France bénéficie donc d’une taille offrant plus de stabilité mais elle est aussi bien moins endettée, ce qui peut également, encore, justifier une bien meilleure notation.

Alors pourquoi le taux de la France est-il actuellement équivalent à celui de la Grèce ? Quelques raisons peuvent se combiner :

  • La masse de dette en nominal : à pays plus petit, et la Grèce est douze à treize fois plus petite que la France en termes de PIB, taille totale de dette plus petite. Rappelons ici que les obligations d’Etat des Etats européens sont actuellement détenues pour une grande partie par la Banque Centrale et les investisseurs institutionnels, souvent locaux, qui conservent leurs titres jusqu’à maturité. Sur des émetteurs souverains de petite taille comme la Grèce, l’Irlande ou les pays baltes comme l’Estonie, on peut observer un certain effet rareté qui renchérit les obligations au-delà de la qualité intrinsèque des pays en question.
  • Cet effet rareté se renforce d’autant plus pour les pays qui sont en phase de désendettement, puisqu’ils ne remplacent pas leurs obligations qui arrivent à maturité par de nouvelles et le gisement se tarit progressivement. Ainsi, la Grèce a-t-elle vu son endettement chuter de 215% du PIB à 160% en trois ans environ, tandis que la France a vu le sien stagner après avoir grimpé de 15 points post 2020. Et vu le budget très déficitaire de la France pour 2024 et 2025, la tendance ne devrait pas s’inverser…

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

  • La spéculation : n’oublions pas non plus que les actifs liquides, qui plus est s’ils peuvent être le sous-jacent de produits dérivés, offrent aux investisseurs la possibilité de transactions bien plus variées et propices à la volatilité que des actifs moins liquides et sans produits dérivés : ainsi les futures sur les obligations Françaises et la profondeur de marché permettent aux investisseurs, d’une part de se couvrir (en vendant à découvert) ou même de « shorter » le risque France dans un objectif spéculatif. Lorsque des actualités importantes comme la dissolution ou le risque de chute d’un gouvernement augmente, il est probable que les volumes de ce genre de transaction augmentent massivement, uniquement dans une optique court terme. Ce type de transaction est beaucoup plus complexe et coûteux pour des actifs moins liquides comme des obligations grecques, qui n’ont pas de futures et coûtent beaucoup plus chères à vendre à découvert.

Enfin, rappelons aussi que cette différence de notation non compensée par un écart de taux suffisant, si elle peut s’expliquer par les aspects techniques légitimes cités ci-dessus, peut aussi s’expliquer par le caractère peu fiable et non prédictif des notations d’agences :

  • Comme évoqué dans de nombreux hebdos, les notations d’agence matérialisent une situation déjà en place, elles ont donc généralement un retard important par rapport au prix de marché, a fortiori sur les souverains qui évoluent sur un temps très long. Combien de fois a-t-on ainsi observé des émetteurs investment grade se voir dégradés précipitamment par les agences alors qu’ils étaient déjà dans une situation inextricable : Atos, Crédit Suisse… en résumé une bonne partie des cas récents de pertes substantielles pour les créanciers obligataires…
  • Les agences ont du mal à noter les pays et les sujets politiques, géopolitiques et systémiques qu’elles peuvent difficilement évaluer précisément dans leur analyse finissent souvent par prendre le pas sur l’analyse crédit des équilibres économiques sommaires d’un pays… Ainsi l’Islande était AAA juste avant sa débâcle, la Russie était investment grade la veille de passer sous embargo, et beaucoup d’émetteurs paranationaux (collectivités locales, sociétés détenues par l’Etat) ont eu des différentiels importants entre la notation théorique et l’issue pour l’investisseur à cause de préemptions par l’Etat ou de négociations politiques locales excluant les créanciers internationaux, comme en Argentine par exemple. A ce sujet, comme une petite anecdote, nous vous joindrons ci-dessous la copie d’écran de la notation d’une entreprise argentine, qui permet de relativiser la notation d’un Etat par les agences et la perception de son risque suivant qu’on est étranger ou local. Ainsi l’émetteur Compania General de Combustibles, entreprise pétrolière argentine, est-elle notée CCC auprès de l’agence S&P tandis que l’antenne locale argentine de Moody’s la note AA-… Tout est donc uniquement histoire de référentiel et de relativité et il est primordial pour un investisseur de s’affranchir tant que possible des notations d’agences et de prendre garde au « marketing de la notation » de certains émetteurs, de certains produits financiers ou de certaines agences peu regardantes pour obtenir des contrats. Ceci vaut pour les notations de crédit, en particulier sur l’investment grade puisque cette catégorie permet de promettre qualité et sécurité à un investisseur, comme pour les notations et autres labels ESG, qui permettent eux de promettre la vertu, parfois à bon compte…

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