Guerre en Ukraine : vers un bouleversement de l’ordre alimentaire mondial ?

L’invasion russe en Ukraine (ancien grenier à blé de l’URSS et actuel 8ème producteur mondial de cette céréale emblématique) a des impacts directs et violents sur la sécurité alimentaire d’un certain nombre de zones géographiques du globe, et cause des perturbations majeures sur la chaîne de valeur de l’industrie alimentaire de façon générale. Lors d’une conférence ce matin, deux expertes de la thématique, Mayssa Al Midani et Gillian Diesen, membres de l’équipe de gestion du fonds thématique Pictet-Nutrition, ont apporté leur éclairage précieux.

Le blocage de ports stratégiques ukrainiens dont Marioupol (qui constitue un accès à la Mer d’Azov, elle-même débouchant sur la Mer Noire), conjugué à différents embargos et sanctions économiques contre Moscou, ont inévitablement provoqué une flambée des matières premières alimentaires, dans une volatilité intense. Le blé est l’exemple le plus souvent cité, mais il convient également de parler de l’alimentation pour le bétail, et des engrais à base de potasse et d’azote. A l’heure où « un tiers de la production alimentaire est gaspillée », c’est notre rapport à la nutrition qui se trouve remis en question. Les intervenantes de Pictet ont, avec un seul chiffre, d’emblée montré la mesure des enjeux : pour produire 7 kilogrammes de viande rouge, il faut 7 kilogrammes de grains, là où il suffit d’1 kilogramme de grains pour produire 1 kilogramme de saumon…

L’Ukraine et la Russie exportent d’énormes quantités de céréales, d’huiles végétales et d’engrais et représentent ensemble environ 30 % des exportations de blé et 20 % des exportations de maïs, plus de 50 % des exportations de graines et d’huile de tournesol, 20 % des engrais azotés et 30 % des exportations de potasse (à la fois brute et dérivé du gaz naturel, ce qui exacerbe l’inflation).

Comment la maison de gestion se positionne-t-elle par rapport à ces bouleversements ? Sûrement pas en axant sa stratégie sur les achats de matières premières alimentaires en direct, mais en privilégiant les entreprises de la thématique au sens large (équipementiers, logisticiens, producteurs, foodtech, …) qui ont la plus forte capacité à faire passer la hausse du coûts des intrants sur le prix consenti par le consommateur final : c’est le fameux « pricing power ».

Le secteur technologique (agri-tech), en particulier, a depuis le début de l’année davantage la faveur des gérants, dans le cadre des efforts continus pour veiller à la sécurité alimentaire dans le monde Le secteur a l’avantage d’être moins exposé aux variations violentes des cours des matières premières alimentaires, variations auxquelles l’équipe de gestion tente de diminuer l’impact. Autre levier, le passage de 3% de liquidité à 6%.

Le conflit ukrainien ne fait au fond qu’accélérer « le repositionnement du fonds opéré en 2017 ». Pictet Nutrition était auparavant beaucoup plus axé sur les producteurs, donc en amont de la chaîne de valeur de l’industrie alimentaire, mais depuis, le curseur est davantage poussé en milieu de chaîne et en aval de la chaîne, sur la logistique et l’« agri-tech ». Dans ce dernier volet, les gérantes y incluent les solutions d’optimisation de l’efficacité de production, des solutions de minimisation du gaspillage alimentaire, les réseaux de distribution favorisant la meilleure connexion possible entre les producteurs et les consommateurs, ainsi que la sécurité sanitaire alimentaire.

L’équipe a balayé une multitude de raisons de rester optimiste à long terme sur cette thématique, qui reste à dominante défensive (« nous aurons tous toujours besoin de manger ») :

  • « Les réglementations et politiques de santé publique favorables à des régimes alimentaires plus sains et une réduction de l’impact environnemental des systèmes alimentaires (EU Farm to Fork, Build Back Better, COP26, taxe sur le sucre) ;
  • La demande croissante des consommateurs pour une alimentation et une agriculture plus saine et plus durable ;
  • L’innovation continue des entreprises pour répondre à ces demandes ;
  • Un parc d’équipements agricoles vieillissant ;
  • Des politiques encourageant l’adoption de technologies agricoles de précision / méthodes agricoles durables plus efficaces (réduction des pesticides, des engrais, de l’utilisation d’antibiotiques) ;
  • Une dynamique positive des bénéfices des entreprises exposées à la restauration hors du domicile ;
  • Historiquement, une demande relativement stable à travers les cycles du marché ;
  • Une forte visibilité du chiffre d’affaires et génération de cash-flow de qualité pour les entreprises alimentaires ;
  • Des niveaux élevés de « pricing power » pour nombre d’entreprises de l’univers d’investissement. »

Alexandre TIXIER

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