La Fed amorce une baisse des taux : quelles implications pour le dollar ?

Bill Papadakis

Dans sa dernière analyse, Bill Papadakis, stratège macro senior, et Kiran Kowshik, stratège des marchés des changes chez Lombard Odier, nous éclairent sur les répercussions du cycle de réduction des taux initié par la Fed. Alors que des baisses de 25 points de base sont attendues pour 2024, c’est la trajectoire globale qui importe. Découvrez dans cette chronique comment le dollar pourrait perdre son avantage face à des devises comme le franc suisse et le yen, avec une vigilance maintenue sur l’euro et la livre sterling.


La Réserve fédérale a procédé à sa première baisse de taux directeur depuis la pandémie, réduisant les taux de 50 points de base (pb). Nous pensons que la politique monétaire de la Fed converge vers les attentes du marché, ce qui signifie moins de soutien pour le dollar à l’avenir. Nous avons adopté une posture neutre sur la monnaie américaine et nos préférences vont désormais au franc suisse et au yen japonais.

La décision de la Fed de ramener les taux directeurs à 4,75-5% est conforme à notre hypothèse selon laquelle il s’agit d’une réduction préventive visant à éviter une nouvelle détérioration du marché de l’emploi et à anticiper une partie de l’assouplissement monétaire. Avant la réunion, les attentes du marché fluctuaient entre 25 et 50 pb. Nous pensons qu’il n’y a guère de raison de s’alarmer de l’ampleur de cette première réduction des taux ; il s’agit plutôt d’un signal indiquant que la Fed ne veut pas accuser de retard.

Perspectives de la Fed – réduction vers des taux « neutres »

Pendant la majeure partie des années 2022 et 2023, la Fed s’est concentrée sur le volet inflation de son double mandat de stabilité des prix et du marché de l’emploi. Puis, une série de rapports sur l’emploi plus faibles que prévu, à commencer par les chiffres de juillet, a culminé en août, lorsque le président Jerome Powell a signalé que l’attention de la banque centrale se déplaçait de l’inflation vers le marché du travail. La flexibilité de la politique de la Fed contraste avec celles de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque d’Angleterre (BoE) qui, comme nous l’avons noté récemment, n’ont pas le double mandat flexible de la Fed, à savoir la stabilité des prix et du marché de l’emploi, et où l’inflation des services est toujours élevée. Aux États-Unis, le point mort d’inflation à 10 ans (une mesure des attentes d’inflation à long terme) est revenu à 2%.

Ainsi que nous l’avions anticipé, la réunion de septembre a permis de réduire les taux de 50 pb. En outre, dans leurs projections actualisées, les responsables de la Fed ont indiqué deux baisses supplémentaires de 25 pb cette année encore, suivies d’un assouplissement total de 100 pb en 2025 et de 50 pb en 2026. Ajoutées aux termes employés par le président Powell lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion, ces projections nous apparaissent comme un signe de la confiance croissante de la Fed dans la trajectoire de la désinflation et de l’importance accrue qu’elle accorde à la préservation du plein-emploi à la suite de données récentes indiquant un affaiblissement des conditions sur le marché du travail américain. Cette réduction conséquente, opérée au début du cycle d’assouplissement, ainsi que les orientations fermes en faveur de nouvelles réductions à l’occasion de ses prochaines réunions, devraient contribuer à assurer un atterrissage en douceur et à limiter le risque que les conditions du marché du travail se détériorent à l’avenir.

Dans le même temps, nous pensons que les attentes du marché concernant un taux terminal de 2,8% à un horizon de douze mois sont trop basses, à moins d’une récession aux États-Unis. Dans notre scénario de base d’un atterrissage en douceur réussi de l’économie, le taux directeur neutre – qui ne stimule ni ne freine la croissance – devrait être proche de 3,5%. Dans l’éventualité d’une deuxième présidence Trump après les élections de novembre, le taux terminal de ce cycle de baisse des taux pourrait ne pas atteindre ce niveau, si l’inflation devait repartir à la faveur de nouveaux droits de douane, de réductions d’impôts et/ou d’un durcissement de la politique d’immigration.

Posture neutre à l’égard du dollar

Nous avons récemment suggéré que les attentes en matière d’assouplissement monétaire de la Fed avaient atteint des niveaux excessifs par rapport à ceux des autres banques centrales, et que le dollar américain pourrait se redresser à court terme. Cependant, le début anticipé de longue date d’un cycle monétaire plus souple aux États-Unis, avec une réduction de 50 pb, réduit les différentiels de taux entre les économies développées. En conséquence, nous avons adopté un positionnement neutre sur le dollar par rapport aux monnaies cycliques comme l’euro et la livre sterling, confrontées aux vents contraires d’un ralentissement de la croissance mondiale, et nous préférons désormais le franc suisse et le yen japonais. La Banque nationale suisse (BNS) a été la première à réduire ses taux directeurs cette année et semble avoir largement terminé son cycle, alors que la Fed ne fait que commencer. Pour sa part, la Banque du Japon relève ses taux et se trouve donc sur une trajectoire monétaire totalement différente. Nos hypothèses concernant les principales devises sont présentées dans le tableau de la page 3.

À un horizon de trois mois, les risques pour le dollar liés à ces hypothèses pourraient s’orienter à la baisse, en particulier si les données du marché du travail américain montrent un rythme de détente plus rapide. Dans ce cas, les marchés resteront concentrés sur la volonté de la Fed de maintenir un taux d’emploi élevé et de poursuivre l’assouplissement de sa politique, tandis que la BCE et la BoE continueront à se focaliser sur la maîtrise de l’inflation dans le secteur des services.

Cela dit, sur un horizon de douze mois et dans l’hypothèse que notre scénario de base d’un atterrissage en douceur des États-Unis se vérifie, les risques pour le dollar pourraient s’orienter à la hausse. En effet, la vision dominante du marché, qui prévoit un taux terminal de la Fed inférieur à 3%, pourrait évoluer à la hausse en 2025, au moment même où l’assouplissement de la politique de la BCE et de la BoE se poursuivra.

Nous continuons à surveiller attentivement l’impact de la politique américaine sur nos perspectives pour le dollar. Une victoire de Kamala Harris pourrait affaiblir davantage la monnaie. L’augmentation de l’impôt sur les sociétés de 21% à 28%, proposée dans le cadre de sa campagne, pourrait restreindre les flux d’investisseurs étrangers vers les actions américaines. À l’inverse, une victoire de Donald Trump pourrait déclencher une hausse des anticipations d’inflation en cas d’augmentation et d’élargissement des droits de douane sur les importations, et/ou d’augmentation des bas revenus en raison de politiques d’immigration plus strictes. Cela pourrait ralentir le cycle de réduction des taux par la Fed et se traduire par un renforcement du dollar américain.

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