Le pessimisme ambiant, bain de jouvence pour le gérant obligataire value

Quelle gageure que de réaliser des hebdos financiers dans un monde à la fois aussi figé et mouvant que celui dans lequel nous évoluons actuellement. Un paradoxe me direz-vous puisqu’on peut difficilement être à la fois figé et mouvant… Et pourtant… Les investisseurs ne sont-ils pas quasiment tous figés depuis le début d’année et les premières secousses sur les marchés de taux puis le déclenchement de la crise en Ukraine ? Et ne sont-ils pas figés justement parce qu’ils se rendent compte que les mondes financier, monétaire, géopolitique, économique, social entament depuis quelques mois un mouvement d’une telle profondeur qu’il est quasiment impossible à appréhender ? Un mouvement qui vient de commencer et a déjà entraîné une inflation passant de 0% à 10%, des moins-values obligataires jamais vues pendant plusieurs décennies, et, plus grave, un ravivage des logiques de blocs est/ouest, des répressions diverses, des pénuries, des protectionnismes et autres phénomènes que peu d’investisseurs contemporains ont connu dans leur vie professionnelle et que quasiment aucun n’imaginait il y a encore trois années, alors que la mondialisation battait son plein et qu’on parlait du Yuan comme devise de réserve, de la fin des pays périphériques ou de l’impossibilité pour la BCE de créer un soupçon d’inflation…

Tout change donc mais les sujets du changement, parce qu’ils sortent de l’analyse financière traditionnelle et sont qualitativement plus structurels que conjoncturels, rendent l’incertitude trop forte pour les investisseurs, habitués, qui plus est, à une décennie de pavage du chemin par des banques centrales ultra accommodantes.

Dans les semaines récentes, alors que la normalisation sanitaire permettait à la sphère financière de renouer avec les symposiums et autres conférences, nous avons eu l’occasion de ressentir pleinement cette incertitude, voire cet embarras des spécialistes de la prévision devant une situation quasi inédite et multifactorielle. Nous avons aussi noté un phénomène, peut-être inconscient mais assez révélateur, qui était l’emploi du mot « optimisme » et de ses dérivés, le tout après avoir réalisé des exposés au sein desquels foisonnaient des mots dont peu poussent à cet optimisme… En voici quelques-uns des plus répétés que nous avons notés au fil de l’eau au cours de présentations de perspectives macro-économiques ou financières : volatilité, compression, restriction, resserrement, répression, géopolitique, sécurité alimentaire, surdépendance, stagflation, guerre froide, régimes autoritaires, sécurité sanitaire, pénuries, grèves, émeutes, limiter, lutte, récession, crise, périphériques, ouragan, résilience…

Placé souvent comme une conclusion, ce mot « optimisme » ressemblait finalement plus à une incantation ou à un argument commercial qu’à une traduction du véritable sentiment des intervenants. Pour approfondir un peu sur notre sujet obligataire, combien de fois avons-nous entendu ou lu des exposés arguant « nous sommes plus ‘dovish’ que les marchés », « les défauts en Europe resteront modérés », « on ne revivra pas de crise des périphériques », « les taux européens sont cappés » tout en reconnaissant ensuite une prudence extrême dans les portefeuilles, des durations plus courtes que la moyenne, une absence de crédit

Avec le regard de gérant obligataire value, nous noterons que :

1- L’incertitude actuelle des traditionnels sachants et leur scenarios hétéroclites dans l’espace (pensons ici selon les intervenants) et dans le temps est la seule variable commune du « consensus » de marché

2- L’incertitude est source de pessimisme dans les marchés

3- Le pessimisme crée généralement des valorisations erratiques, une absence de différenciation entre les actifs, des excès de défiance

Nous retrouvons dans ce troisième point les fondements mêmes de la gestion value, qui a ainsi beaucoup plus de facilité à se différencier positivement dans ces phases de marché de pessimisme que lorsque les primes sont serrées et que l’optimisme survalorise tous les actifs comme ce pouvait être le cas en 2019 par exemple.

Il n’est bien sûr pas question ici de dire que nous avons les solutions et les scenarios macro que n’auraient pas trouvés les autres mais simplement de noter que :

– La capacité de remboursement des entreprises à horizon 3-4 ans est plus facile à envisager que les sujets macro et géopolitiques actuels

– Les rendements obligataires actuels permettent à un investisseur de contrer une part significative de l’inflation avec un risque limité à l’échéance, ce qui n’est pas le cas d’autres actifs qui devront compter sur des plus-values complémentaires ou s’assurer de ne pas connaître des moins-values à horizon quelques années. L’inflation que l’on connaît actuellement sur les biens de consommation ayant déjà eu lieu sur les actifs dans la décennie 2010, ce dernier risque est significatif…

– Le climat de pessimisme ambiant offre de nombreuses opportunités sur les marchés de crédit ce qui permet de proposer actuellement une granularité très forte au sein des portefeuilles. Par exemple, le fonds à échéance Octo Rendement 2025 compte aujourd’hui 138 obligations, soit plus qu’en 2021, alors même que la maturité est plus proche ; le fonds Octo Crédit Value compte 78 obligations répondant à nos critères d’investissement contre une soixantaine en 2021.

Nous ne conclurons pas en disant que nous restons optimistes, mais en soulignant que les obligations sont les actifs du pessimisme et que, si elles avaient un temps perdu leur attrait pour bon nombre d’investisseurs du fait des politiques de banques centrales, les restrictions monétaires à venir, l’incertitude économique et les hausses de rendements significatives observées depuis quelques semaines méritent de revisiter l’actif obligataire comme un actif de performance pour les années à venir.

Matthieu Bailly, Octo Asset Management

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