L’éclairage économique de Christophe Barraud : Entre stabilisation et défis, comment se portent les perspectives de croissance mondiale pour 2024 ?

Dans notre interview exclusive avec Christophe Barraud, économiste et directeur général de Market Securities Monaco, reconnu par Bloomberg comme le meilleur prévisionniste sur les statistiques américaines, de la zone euro et chinoises, nous explorons les projections de croissance mondiale pour 2024. L’entretien qui s’appuie sur son dernier rapport, met en lumière les défis majeurs de l’économie globale, incluant les tensions géopolitiques au Moyen-Orient et les fluctuations des taux d’intérêt, notamment aux États-Unis. Nous discutons également des performances économiques par régions, avec une attention spéciale sur une Chine dynamique et des États-Unis résilients, tout en examinant les impacts des ajustements de la politique monétaire. Des insights précieux sur les secteurs et les marchés susceptibles de surperformer ou de décevoir dans un contexte économique complexe et en constante évolution.


L’aperçu de votre rapport suggère une stabilisation de la croissance mondiale pour 2024, avec plusieurs facteurs sous-jacents en jeu. Pourriez-vous discuter des principaux défis auxquels l’économie mondiale est confrontée cette année et des secteurs ou régions qui pourraient surpasser ou ne pas atteindre les attentes ?


Nous nous attendons à une stabilisation de la croissance mondiale cette année à 3,1% malgré le regain des tensions géopolitiques au Moyen Orient et la remontée récente des taux longs, particulièrement aux Etats-Unis. La croissance chinoise devrait surprendre à la hausse et se rapprocher de l’objectif du gouvernement de 5% (nous anticipons 4,9% contre 4,7% pour le consensus et 5,2% en 2023). Les autorités ont fait le choix d’accélérer sur le front des dépenses publiques tout en maintenant une politique monétaire accommodante.

En parallèle, aux Etats-Unis, les craintes d’une récession technique se sont dissipées si bien que la croissance devrait atteindre 2,4% en moyenne sur l’année (contre 2,2% pour les attentes du consensus et 2,5% en 2023). La consommation des ménages a montré des signes de résilience au T1 alors que la politique fiscale, axée sur les crédits d’impôts, reste expansionniste. Enfin, dans la zone euro, un rebond de l’activité est attendu à partir du T2 comme le suggère la réaccélération récente du crédit au secteur privé et les derniers indices PMI.


Au vu de vos observations détaillées, la croissance de la Chine devrait ralentir en 2024, tout en montrant des signes d’amélioration séquentielle. Pouvez-vous nous parler des secteurs qui commencent à montrer des signes de reprise et comment les mesures de soutien gouvernementales influencent cette tendance ?

Au T1 2024, le PIB chinois a dépassé les attentes, atteignant 5,3% en rythme annuel (contre 4,8% attendu et 5,2% au T4 2023). Le secteur de l’hospitalité (hôtellerie, restauration, transport) est resté bien orienté à l’image du trafic aérien qui est toujours en hausse de près de 10% par rapport au niveau de 2019.

En parallèle, de janvier à mars, l’accélération des investissements a été stimulée par le secteur public, qui a augmenté ses dépenses en capital de 7,8% en rythme annuel, alors que sur la même période, les investissements en provenance du secteur privé n’ont progressé que de 0,5%.

Notons que l’investissement dans les infrastructures a augmenté de 6,5% en rythme annuel contre 6,3% au cours des deux premiers mois de l’année.


Malgré le soutien gouvernemental, le marché immobilier chinois reste sous pression. Quelles sont les ramifications potentielles à long terme pour l’économie chinoise si les défis de ce secteur persistent ?

La faiblesse du marché immobilier, qui se caractérise par une baisse des transactions mais aussi une baisse des prix, continue d’affecter directement le secteur de la construction. Dans le même temps, le patrimoine des ménages chinois se concentre majoritairement sur les biens immobiliers.

Il en ressort que l’effet richesse négatif affecte significativement le moral des ménages qui préfèrent limiter leurs dépenses pour l’instant et favorisent l’épargne (>30% des revenus). La multiplication des défauts des promoteurs immobiliers est également susceptible d’affecter la sphère financière mais pour l’instant, les autorités semblent veiller au grain.


Avec un ralentissement prévu des dépenses réelles des ménages aux États-Unis en 2024, quels facteurs, selon vous, auront l’impact le plus significatif sur le comportement des consommateurs ? De plus, comment les ajustements de la politique monétaire de la Réserve Fédérale pourraient-ils influencer l’activité économique ?

L’inflation reste la principale préoccupation des ménages dans un contexte où la croissance restera robuste. Dans le même temps, la remontée des taux long pourrait un peu plus limiter les intentions d’achat dans le secteur immobilier à l’heure où l’indice d’accessibilité reste proche de son plus bas depuis 1980. Enfin, les salaires réels restent une variable clés dans la prise de décision des ménages.

Une éventuelle baisse des taux directeurs de la Réserve Fédérale permettrait de réduire la pression sur les taux courts et par conséquent les taux d’emprunt associés aux cartes de crédit « credit revolving » ou aux crédits automobiles dont les taux de défaut sont en augmentation. A l’inverse, un maintien des taux directeurs à un niveau élevé freinerait un peu plus la dynamique de crédit auprès des ménages mais aussi des entreprises qui auront plus de mal à se refinancer et à investir.


Le rapport prédit que la zone euro pourrait voir une reprise de l’activité économique à partir du deuxième trimestre 2024. Quels moteurs prévoyez-vous pour cette reprise et comment les tensions géopolitiques actuelles et les politiques fiscales des États membres de l’UE pourraient-elles affecter ces perspectives ?

Plusieurs indicateurs comme le crédit au secteur privé (données de février) mais aussi les indices PMI (mars), suggèrent que la croissance en zone euro devrait accélérer au T2. Le secteur des services montre clairement des signes de résilience alors que l’industrie et surtout l’immobilier restent sous pression en raison d’une politique monétaire encore restrictive.

Les tensions géopolitiques persistent mais les dépenses réelles des ménages devraient repartir dans la mesure où les salaires réels rebondissent et le surplus d’épargne accumulé durant le Covid est toujours conséquent. Néanmoins, à l’inverse des Etats-Unis, la politique fiscale est en train de se durcir, limitant le potentiel de croissance. Ce mouvement ne semble pas prêt de s’estomper dans certains pays comme la France et l’Italie où le déficit a surpris à la hausse en 2023.


Il est indiqué que la Réserve Fédérale des États-Unis et la Banque Centrale Européenne pourraient potentiellement ajuster les taux en 2024. Comment évaluez-vous le timing et l’impact potentiel de ces changements de politique sur les économies respectives ?

L’incertitude concernant une baisse de taux de la Réserve Fédérale n’a cessé de prendre de l’ampleur. Néanmoins, nous pensons que le ralentissement de l’inflation prévu jusqu’au T3 2024, la pression fiscale et aussi la pression politique pourraient être suffisants pour légitimer une réduction de 0,25% des taux directeurs avant les élections (5 novembre).

A l’opposé en zone euro, nous pensons que la BCE devrait commencer à baisser ses taux directeurs en juin et pourraient rééditer l’exercice au moins  à deux reprises d’ici la fin de l’année dans un contexte où l’inflation pourrait repasser sous le seuil des 2% en rythme annuel en septembre ou en octobre. L’environnement en zone euro semble différent des Etats-Unis avec une croissance attendue bien plus faible (0,5% cette année contre 2,4% pour les Etats-Unis), des prix immobiliers qui continuent de chuter (ils progressent toujours aux Etats-Unis) et une politique fiscale plus restrictive.


Avec le rôle crucial des immigrants dans l’expansion de la main-d’œuvre américaine, quels effets économiques à long terme prévoyez-vous de ce changement démographique ?

Je ne suis pas un spécialiste de ce sujet, toutefois, on peut noter que les experts de la Fed ont récemment augmenté leur prévision de croissance en raison d’une main-d’œuvre accrue due à l’immigration. Leurs projections rejoignent celles du CBO qui a également relevé ses estimations de croissance potentielle, passant de +1,8% à +2,1% pour les cinq prochaines années, en faisant l’hypothèse d’une augmentation de l’immigration.


Face aux tendances macroéconomiques décrites pour 2024, quelles sont les leçons clés pour les décideurs politiques, les investisseurs et les entreprises ?

Malgré les incertitudes croissantes tant sur le plan politique que géopolitique et une politique monétaire encore restrictive aux Etats-Unis comme en zone euro, la croissance économique mondiale devrait rester résiliente et se stabiliser en 2024. La réalité macroéconomique a donc tendance à surprendre à la hausse depuis le S2 2023 offrant de multiples opportunités aux entreprises et investisseurs dans de nombreux secteurs.

Sur le plan des taux d’intérêt, la récente flambée des taux long (surtout aux Etats-Unis) constitue un rappel important pour les décideurs politiques quant à la nécessité de réduire les déficits sur le long terme et la maîtrise des finances publiques.

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