Les marchés actions résistent plutôt bien à la guerre, l’inflation et la hausse des taux…

Après nous avoir expliqué que l’inflation n’était que transitoire, les Banques Centrales considèrent désormais qu’il faut agir sans tarder.
L’inflation semble ainsi être devenue le principal problème, davantage que la croissance. De ce fait, les taux remontent, à un rythme plutôt rapide.
Par ailleurs, le conflit en Ukraine n’est pas terminé et risque de peser sur l’économie internationale… Comment analyser la bonne résistance des marchés actions dans ce contexte ?

Contexte et analyse

Nous nous attendions en janvier à une année 2022 volatile. Elle l’est pour le moins. Après un début d’année incertain lié aux craintes de durcissement de la politique monétaire américaine, la guerre en Ukraine est venue perturber les scénarios initiaux. Pourtant, dans ce contexte guerrier anxiogène et de remontée des taux d’intérêt, la performance des marchés actions s’avère assez étonnante. Les indices ont retrouvé leurs niveaux d’avant l’envahissement de l’Ukraine et la baisse n’est finalement que de 3% depuis le début de l’année sur l’indice S&P 500 et de 6% sur l’indice Eurostoxx. Parallèlement, les taux d’intérêt obligataires ont monté significativement, passant de 1,50% à 2,45% sur le T-Notes à 10 ans US et de -0,17% à 0,57% sur le Bund allemand 10 ans. Il s’agit ainsi de l’un des pires débuts d’année en termes de performance obligataire : l’indice Euro MTS Global recule de près de 5,0%, l’indice US correspondant de 6,4%…
Si l’issue de ce conflit affreux reste encore très incertaine, les marchés tablent sur un scénario de sortie qui éviterait le pire, à savoir un conflit de grande envergure impliquant davantage de pays. Par ailleurs, ils considèrent que les dégâts économiques consécutifs à ce conflit resteront modérés, ce qui semble encore aléatoire à ce stade. Mais peut-être surtout, les investisseurs considèrent que les sanctions occidentales (en fait surtout décidées par les États-Unis) sont efficaces et dissuasives, et de nature à calmer les ardeurs expansionnistes d’autres pays (nous pensons surtout à la Chine avec le cas de Taiwan).
Ce scénario positif de sortie de crise est encore aléatoire. Mais ce qui paraît acquis à court terme, c’est qu’il y aura davantage d’inflation, et moins de croissance.
Pour le Président de la Reserve fédérale américaine, Jerome Powell, la question de l’inflation devient plus importante que celle de la croissance. L’inflation dépasse désormais 8% aux États-Unis et la hausse récente des matières premières risque d’entretenir cette tension sur les prix. Le taux de chômage est revenu au plus bas d’avant Covid et les perspectives montrent que le marché du travail sera encore plus tendu dans les prochains mois, faisant craindre la possibilité d’une contagion aux salaires. Cette poussée inflationniste commence également à se diffuser dans les anticipations à long terme des investisseurs et des agents économiques. L’inflation inscrite dans les cours des obligations indexées le démontre. Or, c’est ce que veulent éviter les Banques Centrales qui surveillent attentivement cet indicateur. Il y a donc une fenêtre de tir pour agir. La Reserve fédérale américaine a ainsi annoncé un nouveau cycle de hausse des taux directeurs, le premier depuis 2018. Les marchés ont bien compris le message : le contrat Fed Funds Future décembre 2022 se situe ainsi dans la fourchette 2,50%/2,75% et à 3,00%/3,25% à mi-2023, soit bien au-delà du taux d’intérêt considéré comme neutre par la Reserve fédérale de 2,40%… La Fed juge ainsi que l’économie américaine est suffisamment forte pour supporter l’impact de ces hausses de taux, ce qui restera à démontrer dans les prochains mois. La BCE a également durci quelque peu le ton vis-à-vis de l’inflation qui s’approche de 6% dans la zone. Les marchés anticipent que le principal taux directeur sera à 0,00% à la fin de l’année et à 0,80% à la fin de ce cycle en 2023.
Parallèlement, la croissance est revue à la baisse. La hausse des matières premières va peser sur la consommation des ménages et freiner l’investissement des entreprises dont les marges vont s’éroder. Ce conflit en Ukraine impactera directement l’Europe, modérément les États-Unis alors que la Chine devrait être touchée marginalement.
La croissance mondiale, attendue à près de 4% en début d’année, devrait donc s’établir plutôt autour de 3% selon les dernières estimations qui prennent comme hypothèse une stabilisation des prix du pétrole autour de 110/120 USD. Selon les principaux modèles économétriques, une hausse de 10 dollars sur le prix du baril a un impact négatif de l’ordre de 0,2 point de PIB. Si nous ajoutons la hausse des prix du gaz, qui touche particulièrement l’Europe, nous comprenons l’ampleur de la révision à la baisse. À ce phénomène s’ajoute la hausse des prix agricoles qui finira également par peser sur la consommation.
Aux États-Unis, la croissance devrait ralentir et s’établir à 3% cette année. En zone Euro, les prévisions s’établissent également autour de 3%, mais avec des probabilités de révisions à la baisse plus importantes. La Chine est dans un cas particulier. Le pays a réitéré son objectif de croissance de près de 5,5% pour 2022, ce qui peut paraître ambitieux après une année 2021 délicate marquée par une vague réglementaire et une crise immobilière, et alors que des confinements partiels sont décidés dans quelques grandes villes pour contrer une nouvelle vague de Covid. Mais comme il s’agit d’une année très importante pour le pouvoir avec le XXe Congrès du Parti communiste en novembre à l’occasion duquel le Président Xi Jinping souhaite être reconduit pour une troisième fois, voire à vie, le gouvernement devrait prendre des mesures de soutien.
La crise sanitaire mondiale de la Covid avait commencé à façonner quelques tendances. Cette crise géopolitique grave est d’une nature différente, mais elle est aussi riche en enseignements de moyen terme.
La puissance américaine reste inégalée dans le monde. Si l’Occident a réussi à montrer un visage uni, c’est surtout du fait des États-Unis, même si cette crise a lieu sur le sol européen. L’OTAN en ressort renforcée, les sanctions financières illustrent la puissance encore inégalée du dollar et les États-Unis vendront finalement davantage de gaz aux européens, de même que des armes. En revanche, certains pays qui conservent une grande partie de leurs réserves de change en dollars pourraient être tentés de diversifier vers d’autres monnaies vu l’exemple donné par le blocage de l’accès de la Russie à ses réserves détenues en dollars. Le RMB chinois pourrait en être le bénéficiaire à moyen terme. Dans le même ordre d’idées, les cryptomonnaies ont démontré un certain avantage à être déconnectées des systèmes des Banques Centrales internationales. Par ailleurs, la fermeté de la réaction occidentale sous l’impulsion américaine recèle un scénario positif. Cela pourrait inciter la Chine à freiner ses ardeurs hégémoniques et à conserver un dialogue avec les Américains et Européens, partenaires commerciaux très importants et avec lesquels les imbrications économiques sont telles qu’un blocage nuirait à tous. C’est aussi probablement l’une des raisons pour laquelle les marchés se sont repris.
La Russie financière a été rayée de la carte des indices internationaux. La Russie économique va également subir le désengagement de très nombreuses entreprises occidentales qui vont arrêter leurs opérations dans ce pays. Plus généralement, les événements récents tendent dans le même sens : la mondialisation qui a accompagné la croissance internationale depuis la chute du communisme et depuis l’entrée de la Chine dans l’OMS en 2001 touche ses limites. La crise de la Covid a déjà mis en évidence les dangers de dépendre d’usines à l’autre bout du monde, le contexte géopolitique tendu entre les États-Unis et la Chine et la prise de conscience désormais quasi généralisée de la nécessité de réduire l’empreinte carbone dans les échanges commerciaux vont accélérer ce mouvement.
Nous observons déjà la mise en route de nombreux projets d’usines en Europe ou aux États-Unis, notamment dans les domaines essentiels des microprocesseurs et des batteries électriques. Il en résultera un monde moins fluide du point de vue des échanges, où la recherche de l’efficacité et de la maîtrise des coûts deviendra moins primordiale. Dans ces conditions, il y aura de ce fait probablement davantage d’inflation et les marges des entreprises pourraient s’en trouver structurellement érodées. Par ailleurs, ce contexte n’est pas propice à la maîtrise des déficits publics et des niveaux d’endettement des États. De ce point de vue, en zone Euro, le traité de Maastricht est désormais caduc et une nouvelle organisation de cette zone monétaire devra être repensée au cours des prochaines années.
Enfin, cette crise a mis en évidence, sinon les contradictions, du moins les défis auxquels fait face la notion d’investissement ESG (Environnement, Social, Gouvernance). De nombreux observateurs s’étonnent que la Russie fût présente dans certains indices dits « ESG ». Il s’agit d’un sujet complexe, presque philosophique. Les régimes démocratiques sont minoritaires dans le monde et ne représentent qu’une part mineure de la population. Si nous nous soucions du devenir écologique de notre planète par exemple, ce n’est pas en restant investi dans les pays occidentaux, déjà globalement vertueux et qui contribuent pour finalement peu (hors États-Unis) dans les émissions de CO2, que le problème sera résolu. Au contraire, les bonnes pratiques doivent être développées dans les pays émergents, au premier rang desquels figure la Chine. Il en est de même pour le renforcement des bonnes pratiques en matière de gouvernance d’entreprise ou de respect de l’égalité entre les hommes et les femmes. Dans le même ordre d’idées, nous avons vu une banque scandinave envisager investir à nouveau dans le secteur de l’armement, considéré désormais comme essentiel en vue de pouvoir se défendre face à des agressions de pays « non vertueux ». Vaste sujet qui animera les débats sur la gestion ESG dans les prochains mois. Actuellement, les notions de gestion ESG recoupent des approches différentes et il est difficile de s’y retrouver. Une nomenclature plus claire des produits proposés, une forme de plan comptable normé internationalement, devra être explicitée au cours des prochaines années pour ne pas mélanger les concepts.
Bref, les prochaines années nous annoncent un monde moins ouvert, avec plus d’inflation, moins de croissance et des marges des entreprises sous pression. Comment investir dans ce contexte ?
Les anticipations de remontée des taux directeurs se sont déjà rapidement inscrites dans les cours, si bien qu’aujourd’hui, la courbe des taux américains est plate. En général, les courbes des taux s’aplatissent en fin de cycle économique et annoncent une phase de ralentissement. Cela signifie qu’il convient de commencer à se préparer à investir à nouveau en obligations qui offriront bientôt des points d’entrée, même si le rendement réel sera négatif encore quelque temps. Les actions devraient être pénalisées par ce double facteur de ralentissement qui pèsera sur les bénéfices et sur la remontée des taux d’intérêt. Mais elles représentent paradoxalement un actif plus sécurisant que les obligations dans un contexte d’inflation et les valorisations globales sont assez convenables. De plus, comme à chaque période de rupture, il y aura des secteurs d’innovation et de croissance propices à des investissements de long terme. Nous pensons toutefois que globalement, le potentiel des actions est limité à court terme et conservons une vue « neutre ».

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