Marché obligataire : quel scenario, risque et rendement ?

Le double-gong de fin d’année que les marchés attendaient a désormais sonné : la FED et la BCE ont tenu ce jeudi leur dernière réunion, annoncé le maintien des taux d’intérêts à leur niveau et leur ligne directrice pour l’année 2024 !

S’il était trop tôt pour donner un avis avant d’avoir celui des principaux pilotes des taux, il est maintenant temps de nous poser un moment pour étudier les orientations monétaires, le prix que leur donnent les marchés (et petit indice, nous le trouvons très élevé…), les points de courbe et les segments de courbe les plus attractifs. Ensuite viendra le temps des allocations parmi les fonds obligataires et les détails de positionnements que nous pourrons approfondir lors de notre présentation de début d’année du 17 janvier 2024 à Paris (inscription au webinar ici). 

Nos lecteurs ne scrutant pas les marchés obligataires chaque jour – et bien leur en prenne ! -, nous commencerons par exposer le contexte à travers quelques graphiques qui feront probablement office de conclusion d’une année 2023 très favorable, n’attendant plus de grand mouvement de fond pour les quinze derniers jours de l’année… C’est aussi maintenant qu’un investisseur pourra se positionner pour le début d’année, plutôt que dans les périodes de très forte illiquidité de la trêve des confiseurs.

Puisqu’elles sont finalement les juges de paix, jetons tout d’abord un œil aux performances des différentes catégories obligataires sur l’année. Si le début d’année fut très volatil sur les taux et plus régulier sur le crédit, grâce à un fort portage et une duration plus courte à maturité équivalente, cette fin d’année a marqué un tournant dans le sentiment des investisseurs, ces derniers renforçant chaque jour leurs prévisions de retournement des banques centrales et de baisses de taux toujours plus importantes pour 2024.

Si le High Yield a conservé une avance confortable, les indices souverains européens, encore en performance négative sur l’année à mi-octobre ont réalisé un parcours phénoménal en deux mois pour atteindre jusqu’à +6% mi-décembre.

Source : Bloomberg, Octo AM. 

On ne peut donc pas dire que les investisseurs ont analysé le discours des banques centrales mais l’ont plutôt imaginé et espéré…

Remettons tout cela en perspective pour expliquer ce qu’un investisseur se positionnant aujourd’hui sur le marché obligataire achètera comme scenario, risque et rendement :

Source : Bloomberg, Octo AM. 

Concernant le fameux « taux sans risque européen », encore représenté par le Bund allemand, le graphe ci-dessus met en exergue deux éléments clés :

  1. Les taux courts et longs ont violemment chuté, entre 70 et 80 points de base en fonction des maturités, sur les dernières semaines
  2. Les taux courts de maturité 2 ans (en vert) offrent encore plus de rendement que les taux longs bien que l’écart se soit resserré au fil de l’année.

Les raisons intrinsèques à ces chutes, du point de vue des investisseurs, sont :

  1. Une récession est proche en Europe (courbe des taux inversée)
  2. La BCE baissera ses taux significativement dans les mois à venir. Actuellement, les anticipations de baisse de taux payées par les marchés sont de 155 points de base pour l’année 2024, soit un taux directeur européen inférieur à 3% fin 2024.

Sur les obligations corporates, plus la prime de crédit est significative (notation B versus notation A par exemple), moins la courbe est inversée comme en témoigne le graphe suivant, bien qu’elle reste relativement plate.

Source : Bloomberg, Octo AM. 

Ceci signifie que :

  • La prime de crédit compense les distorsions sur les taux souverains, pour trois raisons : 1/ le risque entreprise n’est pas un sujet systémique et monétaire, 2/ la courbe inversée signifiant une récession, les entreprises sont plus risquées à long terme qu’à court terme, 3/ les investisseurs et les flux ne sont pas les mêmes, les souverains étant essentiellement tirés par les produits dérivés tandis que les corporates le sont par la trésorerie réelle d’investisseurs finaux.
  • Pour un investisseur, le marché des corporates est actuellement plus sain que celui des obligations d’Etat, largement piloté par la spéculation macro-économique, sur laquelle le consensus s’est fourvoyé depuis près de 3 ans… Il est en effet logique d’avoir une rémunération a minima égale ou supérieure pour un risque supérieur, et le temps en est un risque. A une époque pas si lointaine, tout le monde s’était accommodé de l’aberration des taux négatifs qu’il était toujours aisé de justifier par des artifices, la correction de 2022 a montré en quoi les aberrations financières sont rattrapées violemment, un jour, par l’économie réelle…la courbe inversée est une autre aberration dans laquelle il ne faut pas tomber, bien qu’elle semble s’installer depuis quelques mois…

Mais alors comment peut se résoudre l’aberration de la courbe inversée ?

Nous avancerons deux types de réponses possibles : une monétaire, l’autre financière.

  1. La réponse monétaire : en Europe, contrairement au Japon, la BCE ne pilote que les taux courts. Une réponse monétaire consisterait donc en une baisse du taux directeur à 15 jours en deçà de tous les taux longs. Passons ici la difficulté de la BCE de travailler à la fois pour l’Italie, dont les taux longs sont à 4%, et pour l’Allemagne, dont les taux longs sont à 2%, ce qui ne lui facilite pas la tâche, comparé à une FED qui a au moins la transparence d’un budget, d’une fiscalité et d’un taux unique. Mais prenons la référence du taux sans risque, le taux Bund, et le taux moyen européen représenté par les obligations de l’Union Européenne, émises notamment lors de la crise du Covid. Le Bund allemand à 10 ans est actuellement à 2%, le taux européen à 10 ans à 2.75%.

Pour atteindre cet objectif de normalisation de la courbe des taux, il faudrait donc que la BCE baisse ses taux autour de 2.5%, soit 200bps de baisse pour que la courbe se normalise sur la courbe européenne et autour de 1.75% soit 275bps de baisse pour qu’elle ait une cohérence économique minimale avec le Bund allemand.

Voyons donc ce que nous a dit la BCE hier, c’est-à-dire bien après le mouvement drastique des marchés financiers sur les dernières semaines… Quelques extraits du discours de Madame Lagarde :« nous ne devons pas baisser la garde », l’institution n’a « pas discuté du tout de baisse de taux »,

« Le ralentissement de l’inflation sous-jacente [hors prix volatils d’énergie et des matières premières] s’est poursuivi » depuis octobre, mais « les tensions sur les prix restent soutenues, en raison principalement d’une croissance dynamique des coûts unitaires de main-d’œuvre »

Madame Lagarde mettait aussi en garde contre des risques inflationnistes encore bien en place liés à l’évolution des salaires (et les négociations généralisées dans certaines grandes entreprises comme Allianz, Stellantis, la SNCF ou Société Générale ces dernières semaines le montrent bien), à l’instabilité politique liée à la guerre en Ukraine et au Proche-Orient ainsi qu’aux évènements météorologiques propres à créer des tensions sur les produits alimentaires et l’énergie.

« Mais on ne compte pas l’énergie et les produits alimentaires dans l’inflation core » nous diront les économistes les plus réputés et les investisseurs qui les suivent ! En effet, ces produits sont trop volatiles, ne représentent pas le dynamisme économique d’une zone et ne doivent donc pas être considérés par la Banque Centrale pour piloter l’économie, nous diront-ils encore… L’inflation « core » serait donc toute proche de l’inflation cible selon cette analyse et la BCE pourrait donc baisser ses taux pour relancer la machine à taux zéros, à multiples boursiers infinis et relance du secteur immobilier !

Mais comment peut-on considérer, dans une zone économique où le niveau de vie médian est de  1500 euros par mois, lorsque les prix de l’alimentaire et de l’énergie ont grimpé de 20 à 30% sur 3 ans, qu’on les soustrait du panier d’inflation alors même qu’ils représentent entre 30% et 40% des dépenses du foyer moyen et sont des dépenses indispensables… Evidemment l’effort se reportera sur les autres biens plus «accessoires » qui subiront une déflation et créeront un effet visuel d’inflation modérée ; pour autant le rôle de la BCE n’est pas que financier ou boursier et on peut imaginer qu’elle observera ces statistiques également sur un volet social et politique, comme elle l’avait fait lors de la crise des périphériques.

« La BCE devra suivre la FED » nous diront d’autres observateurs « or cette dernière a bel et bien annoncé des baisses de taux, donc la BCE suivra ». Nous sommes tout à fait d’accord avec cet argument car les deux zones sont intimement liées à tous points de vue. Cependant n’oublions tout de même pas qu’aucun des chiffres américains et européens ne sont au même niveau ! Les cycles américains, toujours plus forts et plus rapides ont montré des taux de croissances dans la décennie 2010 que l’Eurozone n’a jamais connu, son inflation est structurellement plus élevée et les variations pouvant en découler seront aussi plus fortes. De même les taux courts américains ont grimpé à 5.25% contre 4.5% en Eurozone et le taux du 10 ans américain, bien qu’en repli, affiche toujours 4% de rendement soit plus que la Grèce et que l’Italie et deux fois le taux du 10 allemand ! Les taux longs américains ont donc plus de latitude pour se replier et si les tendances peuvent se suivre entre les deux zones, il faut garder la mesure et ne pas lier aussi mécaniquement que les marchés l’ont fait ces dernières semaines les taux longs grecs ou italiens, simplement pilotés par l’offre et la demande, et les taux courts américains pilotés par la FED en fonction d’indicateurs purement américains !

Ainsi, nous ne pensons pas que la BCE est dans la même situation que la FED et les perspectives de baisses de taux plus fortes en Europe qu’aux USA pour 2024 nous semblent exagérées par les marchés. Depuis 2 ans, il était d’ailleurs préférable de croire la volonté de la BCE (bien qu’elle ne parvienne pas forcément à ses objectifs) que les anticipations des marchés. Or que nous dit-elle sur l’inflation et la croissance ?

Source : BCE

Généralement, une banque centrale additionne bon an mal an croissance et inflation pour fixer son taux directeur, bien que la BCE soit, il est vrai, plus préoccupée par l’inflation contrairement à sa consœur américaine. En faisant cette opération, on observe donc que la BCE prévoirait un taux directeur autour de 3.5% en 2024, 3.6% en 2025 et 3.4% en 2026. En imaginant qu’elle souhaite relancer modérément la machine, elle pourrait envisager une politique plus accommodante entre 2.5% et 3% fin 2024/début 2025. Les marchés eux, en plaçant le Bund 10 ans à 2%, anticipent un taux à moins de 3% dès 2024 et en deçà de 2% ensuite…

Lorsque le marché est pessimiste il peut recéler des opportunités de prise de risque complémentaire, ici nous considérons qu’il est clairement « optimiste » sur les baisses de taux de la BCE et qu’il est donc préférable de préférer la prudence, d’autant plus que cette dernière rémunère plus que la prise de risque comme en témoignent les graphiques de rendement montrés plus haut.

  1. La réponse financière : c’est plutôt celle que nous craignons pour les semaines ou moins à venir. Comme tous les mouvements de marché ces dernières années, la hausse récente sur les obligations longues nous semble exagérée et ne pouvant se reproduire indéfiniment. De manière très simple, si la hausse des deux derniers mois se prolongeait sur le premier semestre 2024, la courbe allemande reviendrait en taux négatifs sur toutes les maturités au-delà de 5 ans. Au mieux le mouvement va donc freiner, au pire il peut s’effacer totalement, comme on l’a déjà vu courant 2023 (cf. graphe des performances souveraines ci-dessus). La fin d’année souvent illiquide, sujette à des achats d’embellissement de bilans et de reportings, est souvent synonyme d’exagération des tendances et nous pensons que le mouvement récent en est un exemple. Comme nous le disions précédemment, une courbe inversée est une incohérence économique qui ne dure généralement pas au-delà de 12 à 18 mois. En imaginant qu’elle se résorbe d’ici fin 2024 lors des premières baisses de taux de la BCE, autour de 3/3.5% de rendement de taux directeurs. Le Bund 10 ans pourrait ainsi grimper lui aussi autour de 3/3.5% de rendement afin que la courbe soit a minima plate. Cela impliquerait un écartement de 100 à 150 points de base sur le 10 ans et le 5 ans, soit une performance à horizon 1 an de -2% à -5% sur le 5 ans et de -4% à -10% sur le Bund 10 ans… Tout cela pour espérer du 2% de portage…

Les taux ont baissé violemment ces dernières semaines et cela incite à plus de prudence et de sélectivité sur le marché obligataire. Mais ce dernier, comme nous disait un investisseur récent sur ce marché cette semaine, a l’avantage d’être extrêmement varié et profond. Et s’il nous semble sans intérêt actuellement de se positionner sur les obligations longues et/ou trop liées aux indices – ces dernières étant les premières et les plus achetées dans ce type de phase d’optimisme-, le marché obligataire recèle encore de larges opportunités de rendement qui devraient permettre, encore en 2024, d’offrir des performances significatives et relativement peu volatiles. Nous relativiserons ainsi la baisse de taux récentes par ce dernier graphique, représentant les taux des obligations B et BB à 3/4 ans ainsi que les financières subordonnées de même maturité, positionnement que nous avons privilégié dans notre portefeuille le plus opportuniste, Octo Crédit Value.

Source : Bloomberg, Octo AM. 

Ces rendements, s’ils ont reflué par rapport à leur plus haut, restent aussi rémunérateurs qu’au pic de la crise du Covid et largement supérieurs à ceux connus dans toute la décennie 2010. De plus, ils représentent le « standard » du marché, c’est-à-dire les obligations les plus volumineuses les plus achetées par les indices (bien qu’il s’agisse d’une absurdité puisque les indices sont pondérés par la masse de dette, surpondérant donc les entreprises les plus endettées, toutes choses égales par ailleurs) et donc les plus volatiles et les moins rémunératrices. On pourra donc, dans ce marché unidirectionnel et concentré sur les titres les plus standards trouver encore de nombreux dossiers à forte prime de rendement et horizon d’investissement relativement court, qui compenseront 1/ la volatilité, 2/ les potentiels accidents, le tout en rémunérant un investisseur entre 4% sur un an et 7% sur 3 à 4 ans. Le graphe suivant montrera ainsi le positionnement des fonds Octo Am dans le contexte actuel, les primes de rendement par rapport au marché équivalent en rating et maturité étant précisément issues de notre choix d’obligations.

Nos lecteurs les plus récurrents et nos investisseurs pourront noter qu’à la suite de la hausse récente, que nous considérons exagérée, nous avons préféré raccourcir nos fonds flexibles afin de coller à notre scenario exposé ci-dessus, le but étant de cristalliser la performance hors norme du marché (près d’une année de portage réalisée en 2 mois de plus-value) tout en maximisant le rendement sur une maturité plus courte et donc moins risquée et moins volatile en cas de repli des indices.

Nous finissons donc l’année confiants mais prudents en estimant que le potentiel des marchés obligataires pour 2024 reste significatif mais que les performances, comme en 2023, seront très hétérogènes et volatiles, a fortiori sur le segment long terme, nécessitant confiance, transparence et bons sens dans le choix de ses obligations ou de ses portefeuilles obligataires.

Source : Bloomberg, Octo AM. 

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