Mieux vaut-il supporter 0.5% d’écartement des taux ou 5% de défauts dans son portefeuille ?

Alors que les investisseurs français se retrouvaient cette semaine à leur traditionnelle réunion lyonnaise, les marchés ont continué  le chemin, entamé depuis quelques semaines sur deux fronts contredisant chacun le consensus du début d’année qui commence bel et bien à se réorienter, par la force des choses :

  • D’un côté les taux longs et intermédiaires ont continué de grimper, le Bund 10 ans atteignant quasiment les 3%, cible que nous évoquions dans notre dernier hebdo mais que nous ne pensions pas atteindre si rapidement
  • De l’autre côté, les entreprises les plus endettées et les plus sujettes à des refinancements potentiellement coûteux continuent d’élaborer des solutions variées pour gérer leur échéancier ou leur endettement tandis que les bluechips bien notées, souvent moins agiles, émettent de nouvelles obligations.
    • Ainsi cette semaine, nous voyions Altice International, dont beaucoup affirmaient que les financements leur seraient pour le moment fermés, emprunter 500M€ par un prêt à une marge de 500 points de base, permettant de refinancer leur obligation 2025 ; alors qu’Altice France de son côté avancerait sur la cession d’une part de SFR. 
    • Birkenstock, notée entre B et BB, prépare une IPO de près de 10 milliards de dollars, montant qui permettrait de rembourser aisément une dette d’un peu plus d’un milliard de dollars répartie sur un prêt et une obligation.
    • Paprec, à la faveur d’une politique financière plus prudente, a vu son rating passer de BB- à BB et sa capacité à venir de financement s’améliorer, compensant précisément l’augmentation des taux par une amélioration relativement rapide de son crédit puisque l’entreprise était encore simple B en 2018 lorsque les taux étaient très bas, et a gagné un cran de notation chaque année depuis. Dans les conditions actuelles, l’écart entre un simple B et un double B peut atteindre 200 à 300 points de base sur 5 ans, économie que pourra donc réaliser Paprec en cas de refinancement.
    • AMS Osram prépare un plan de financement massif de 2.25 milliards d’euros comprenant une augmentation de capital de 800M€ et une émission obligataire de 800M€ pour refinancer les années 2025 et 2026 et donc l’essentiel des obligations de l’entreprise, positionnées pour près de 2 milliards d‘euros sur l’année 2025 pour un encours obligataire total d’environ 2.5 milliards d‘euros. Il y a encore quelques semaines, le rendement des obligations AMS se trouvait encore entre 10 et 15%, préoccupant bon nombre d’investisseurs qui s’inquiétaient de voir AMS sombrer à l’approche de ce refinancement 2025 qu’ils voyaient impossible à ce niveau de taux… AMS les a devancés.
    • Webuild (BB) s’apprête à racheter 450M€ d’obligations 2024 et 2025 en avance après le succès de son refinancement 2028.
    • Coty effectue son introduction en Bourse sur Euronext, qui pourrait permettre d’abaisser le levier d’environ un demi-tour, pour arriver autour de 3.7 fois l’Ebitda.

Bref une semaine relativement normale durant laquelle les entreprises ‘high yield’ se sont activées pour parer à la hausse des taux avec des atouts et des méthodes différentes mais permettant toutes d’abaisser le coût de financement plutôt que de se présenter au marché telles qu’elles le faisaient lors des précédentes émissions obligataires, alors que les taux de base étaient proches de zéro. Encore une fois cette semaine donc les catalyseurs du marché du high yield, entre portage et agilité des entreprises, ont permis aux détenteurs de cette catégorie obligataire de réaliser de meilleures performances que les indices investment grade, ballotés de plus en plus violemment par la hausse des taux et approchant dangereusement d’une performance négative pour l’année 2023 ; les indices souverains y étant déjà…

Pour conclure nous réaliserons une petite simulation pour comparer un pic de défauts dans le marché du high yield européen à un écartement modéré des taux et/ou des spreads. En effet, depuis plusieurs mois, de nombreux investisseurs nous interrogent et s’inquiètent des défauts d’entreprises et donc de potentielles moins-values sur les fonds qui en détiennent. Et pourtant…
Tout d’abord, un défaut en tant que tel ne signifie pas nécessairement qu’un investisseur du marché secondaire perde de l’argent, sans même parler des fonds spécialisés dans les restructurations obligataires. Tout dépend du prix auquel on achète l’obligation et des coupons qu’on a pu toucher entre temps : ainsi un investisseur achetant une obligation à 60% du nominal, touchant un coupon de 7% pendant les trois premières années et subissant un défaut la quatrième année avec une valeur de recouvrement à 40%, n’aura finalement rien perdu en capital.

Passons enfin à notre simulation de deux portefeuilles qui nous permettra de répondre à la question : vaut-il mieux avoir 5% de défauts dans un portefeuille ou un écartement de 50 points de base de taux ?

A priori, 5% de défauts est assez pénalisant et beaucoup d’investisseurs seraient à même de le reprocher à un gérant puisque ce chiffre est colossal sur le marché obligataire européen (plus de deux fois le niveau de défauts de la crise de 2008-2009 en Europe) et a priori pénalisant pour le rendement. En revanche 0.5% d’écartement de taux est un chiffre qui vient précisément de se produire sur les semaines passées sur les taux sans que personne ne sourcille…

  • Le premier est positionné à 100% sur du high-yield de notation moyenne B+, donc à forte composante crédit et peu sensible aux taux, pour un rendement autour de 7% à horizon 5 ans, ce qu’on peut trouver aujourd’hui dans le marché.
  • Le second est positionné à 100% sur de l’investment-grade de notation moyenne BBB+, pour un rendement de 4.3% à horizon 7 ans

Ces deux positionnements représentent à peu près les indices obligataires des deux catégories. Imaginons maintenant que les deux scénarios se passent à horizon 1 an, toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire notamment que les défauts viennent uniquement de mauvais choix du gérant et ne provoquent pas d’écartement généralisé des taux du marché. Nous imaginerons également que l’investisseur achète toutes ses obligations à 100%, ce qui est rare actuellement sur le marché secondaire qui bénéficie déjà d’une décote de près de 10% sur le high yield.

Premier portefeuille : 7% x 95% (portage de 7% sur 95% du portefeuille) – 70% x 5% (5% de défauts achetés à 100% avec une recovery à 30%) = 3.15% de performance à horizon 1 an
Second portefeuille : 4.3% (portage) – 100% x 0.5% x 5 (écartement de 50bps sur tout le portefeuille avec sa sensibilité de 5) = 2.5% de performance à horizon 1 an

Rappelons encore que le pic potentiel de défaut attendu en Europe est plutôt de 2% à 3% sur le high yield pour les deux ans à venir (tandis que nous avons simulé un scénario prudent avec 5%) tandis que les taux longs sont encore entre 50 et 100 points de base en deçà des taux de la BCE, ce qui pourrait bel et bien entraîner un écartement de cet ordre de grandeur.

On constate ainsi que si le mot « défaut » effraie et empêche une partie des investisseurs de se positionner sur le marché du high yield en général, il ne pénalise qu’une portion congrue d’un portefeuille et est souvent largement compensé par le portage des autres signatures et l’idiosyncrasie naturelle des émetteurs de cette portion de marché. La diversification, l’analyse et la flexibilité d’un fonds, notamment la capacité et l’agilité de pouvoir céder des positions avant un défaut formel, peuvent aussi contribuer à limiter son impact, ce qui n’a pas été intégré pour amortir notre scénario. A l’inverse les mouvements de taux, à l’opposé de la composante crédit, impactent la totalité d’un portefeuille de haute qualité dont la prime de crédit est faible et le pilier ‘macro’ et ‘taux sans risque’ est plus élevé. 

Nous ne conclurons donc pas du tout en affirmant qu’il est préférable de faire du high-yield que de l’investment-grade mais plutôt en suggérant que le risque est différent mais pas plus ou moins élevé sur l’un que sur l’autre pour la performance finale de l’investisseur, chiffre bel et bien le plus important lorsqu’on réalise son allocation d’actifs, plus que la terminologie des mots qui peut parfois être inquiétante … mais trompeuse.

Partager cette publication
URL de partage
Précédent

Voici pourquoi l’effet d’octobre est un mythe sur les marchés boursiers !

Suivant

Des taux sensibles à l’évolution des prix du pétrole

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Accès Premium actif !

Vous avez désormais accès à toutes les publications Premium.