Résilience des prix du pétrole et dynamiques énergétiques, un horizon prometteur selon Lombard Odier

Dans leur analyse pour Lombard Odier, Jianwen Sun et Robin Haworth examinent la récente hausse du pétrole Brent, anticipant un maintien des prix entre 80 et 90 USD/baril sans impact négatif majeur sur l’inflation ou la politique monétaire. La chute des prix du gaz naturel serait selon ces experts une aubaine pour l’économie européenne, et le contexte actuel favoriserait les investissements dans le secteur énergétique, en particulier aux États-Unis, un exportateur d’énergie clé. Ne manquez pas leur analyse.


La hausse des cours du pétrole attise les inquiétudes des investisseurs, qui craignent qu’une inflation persistante ne retarde ou ne fasse dérailler les perspectives de baisses de taux. Cependant, la chute des prix du gaz naturel marque la fin d’un choc énergétique pluriannuel et devrait préfigurer le début d’une reprise en Europe.

Début avril, les prix du pétrole brut se sont approchés de leur plus haut niveau depuis six mois. Les attaques contre les raffineries russes et les tensions croissantes au Moyen-Orient ont ravivé les inquiétudes concernant de possibles perturbations de l’approvisionnement. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole et certains pays non membres clés (OPEP+) prolongent leurs réductions de production jusqu’à fin juin, ce qui a resserré l’équilibre du marché pétrolier.

Il existe également des signes indiquant une reprise naissante de la demande mondiale de pétrole, notamment grâce au rebond des indices manufacturiers américains et chinois. Les investisseurs se demandent si les cours du pétrole vont augmenter encore et se tournent vers les marchés des dérivés pour se prémunir contre toute hausse des prix.

Cependant, certains pays de l’OPEP+ ont exporté davantage de barils ces dernières semaines, probablement pour compenser en partie la réduction de la production russe. La capacité de réserve actuelle de l’organisation (voir graphique 1) est capable de répondre aux perturbations de l’offre – pour autant qu’elle soit disposée à intervenir.

Si les conditions actuelles se maintiennent, nous pensons que l’OPEP+ annulera progressivement une partie de ses coupes volontaires de production durant le second semestre 2024. Des prix du pétrole oscillant autour de 90 USD le baril sont supérieurs aux niveaux nécessaires à de nombreux pays de l’OPEP+ pour équilibrer leurs budgets (voir graphique 2). Le fait de pomper davantage de barils pour compenser les perturbations de l’offre ailleurs permettrait d’assouplir leur situation budgétaire. Si le niveau actuel des prix du pétrole n’a pas nui à la demande des consommateurs mondiaux, cela pourrait changer en cas de nouvelle augmentation, un risque que l’OPEP+ veut éviter.

Bien entendu, les risques qui pèsent sur l’offre vont bien au-delà de la Russie. Ils comprennent des scénarios tels qu’un durcissement des sanctions à l’égard de la production iranienne ou vénézuélienne, ou une escalade du conflit affectant le transport maritime dans le détroit d’Ormuz et la mer Rouge, qui pourraient mettre en péril environ un million de barils par jour (bpj) et faire grimper les cours au-dessus des 100 USD le baril. Nous avons examiné ces scénarios ici. Toutefois, la capacité de réserve de l’OPEP+ dépasse ce chiffre.

À l’avenir, le cours du Brent devrait rester dans la limite supérieure d’une fourchette comprise entre 80 et 90 USD le baril. La hausse de la demande devrait soutenir les prix au second semestre 2024, tout comme le souhait de l’OPEP+ de gérer l’offre de manière proactive afin de stabiliser les prix.


Cours du pétrole et craintes d’inflation

La récente hausse des prix du pétrole alimente les inquiétudes des investisseurs relatives à une inflation plus persistante que prévu et à la capacité des banques centrales américaine et européenne à réduire leurs taux directeurs ces prochains mois. Les attentes du consensus en la matière ont déjà fortement décliné cette année, et les marchés à terme sont désormais divisés concernant la perspective d’une réduction des taux de la part de la Réserve fédérale (Fed) en juin, alors qu’ils la considéraient comme une quasi-certitude il y a quelques semaines à peine. Après que les inquiétudes liées au contexte géopolitique ont fait grimper les prix du pétrole début avril, les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans ont atteint leur plus haut depuis cinq mois, mettant les indices boursiers sous pression.

Pourtant, même à 90 USD le baril, les prix du brut restent inférieurs aux sommets atteints en 2023 et aux niveaux qui ont prévalu pendant la majeure partie de l’année 2022. Aux niveaux actuels, nous ne voyons pas les cours du pétrole faire dérailler la tendance mondiale à la désinflation, ni la trajectoire des politiques monétaires des banques centrales des pays développés.

Contrebalançant le renchérissement du pétrole, l’inflation des prix des biens recule rapidement, aidée par des exportations chinoises bon marché. Si, sur les marchés occidentaux, l’inflation des services s’avère plus persistante que prévu, elle demeure néanmoins orientée à la baisse. Les loyers reculent et, surtout, les marchés de l’emploi américain et européen s’équilibrent et la croissance des salaires reste maîtrisée. Nous prévoyons toujours un assouplissement monétaire de 100 points de base aux États-Unis et en Europe cette année, probablement dès juin.


Baisse des prix du gaz naturel

En même temps, l’évolution de la dynamique des marchés de l’énergie a un effet transformateur. Le prix du gaz naturel a fortement baissé ces 18 derniers mois. L’Europe a subi un choc énergétique sévère suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, lorsqu’elle a dû remplacer son principal fournisseur de gaz naturel. En Europe, le prix du gaz a grimpé de plus de 1 000% en raison de la réduction de l’offre. Toutefois, les prix sont désormais inférieurs aux niveaux d’avant l’invasion russe, non seulement en Europe, mais aussi en Asie et aux États-Unis.

Qu’est-ce qui explique cette chute ? En Europe, les marchés de l’énergie se sont montrés plus flexibles que prévu par nombre d’observateurs face à la disparition de la Russie en tant que principal fournisseur du continent. Les pays se sont tournés vers des filières alternatives, ont construit de nouvelles infrastructures pour soutenir le gaz naturel liquéfié (GNL) et ont accéléré la production d’énergie renouvelable. La demande de gaz naturel a diminué d’un cinquième environ suite au recul de la demande industrielle en réponse aux prix élevés, tandis que deux hivers chauds successifs ont réduit les besoins en chauffage – principal consommateur de gaz naturel. Les réserves de gaz de l’Europe sont désormais remplies à 60% (voir graphique 3), un record pour une fin d’hiver où des stocks épuisés commencent à se reconstituer. Même si le continent sera encore confronté à un nouvel hiver d’incertitudes avant que son infrastructure ne soit totalement résiliente, il semble avoir surmonté la crise énergétique.

Pourquoi le prix du gaz naturel évolue-t-il dans la direction opposée à celle du pétrole ? Contrairement au pétrole, le marché du gaz n’est pas contrôlé par un cartel et l’offre est provisoirement excédentaire. Les producteurs américains ont augmenté leur production de GNL, avec des capacités supplémentaires ces prochaines années. Le gel temporaire des nouveaux projets par le président Biden aura peu d’impact pour l’instant, étant donné le délai de cinq à dix ans avant leur mise en service.

Entre-temps, la concurrence des énergies renouvelables sur le marché du chauffage s’est sensiblement accrue, sous l’effet d’une puissante combinaison d’incitations gouvernementales, d’une demande croissante des consommateurs et d’améliorations technologiques permettant d’abaisser les coûts. Les prix du gaz ne peuvent pas reculer davantage sans tomber en dessous du coût marginal de production pour les fournisseurs américains de GNL, actuellement les plus importants au monde.

Bien que le marché affiche un excédent d’offre à court terme, de puissantes raisons soutiennent la croissance de la demande à long terme. Le gaz naturel devrait maintenir son rôle dans la transition énergétique, même si la production d’énergies renouvelables et d’énergie nucléaire est en hausse. En Asie, premier acheteur de GNL au monde, le passage du charbon au gaz n’en est qu’à ses débuts. La demande pour un approvisionnement énergétique régulier augmente aussi dans les centres de données, en raison des tendances dans l’informatique dématérialisée, le Big Data (mégadonnées) et l’intelligence artificielle, ce qui favorise le gaz naturel.


Le choc énergétique se résorbe

Comparativement à ces dernières années, l’impact combiné de la baisse des prix du pétrole et du gaz est considérable. C’est un autre choc post-pandémie qui est en train de se normaliser, entraînant dans son sillage une diminution de la volatilité de l’inflation. L’Europe a ressenti le récent choc énergétique de manière particulièrement aiguë, et nous prévoyons une reprise limitée de la croissance dans la zone euro, qui devrait passer d’une année 2023 difficile à quelque 1,1% cette année. Le recul de l’inflation, dû en partie à la normalisation des prix de l’énergie, permet aux revenus réels de croître à nouveau au sein de l’Union. Une tendance qui soutient la consommation, principal moteur de la croissance. L’industrie manufacturière européenne et la confiance des consommateurs repartent à la hausse depuis de bas niveaux. Le passage du charbon au gaz dans le secteur de l’électricité fait baisser les prix du carbone que doivent payer les entreprises, offrant un soutien bienvenu aux industriels européens. Comment l’évolution de la dynamique énergétique s’incarne-t-elle dans nos décisions d’investissement ? L’avantage structurel des États-Unis en tant que principal exportateur mondial de pétrole et de GNL se reflète à la fois dans l’augmentation de notre pondération des actifs américaines au sein de notre allocation d’actifs stratégique et dans la décision tactique de renforcer notre exposition aux actions américaines et au dollar. Depuis la fin de l’année 2023, nous avons aussi une préférence tactique envers les titres du secteur de l’énergie, qui ont gagné du terrain ces dernières semaines et bénéficient du rendement à deux chiffres du flux de trésorerie disponible[1], avec des conséquences favorables sur les dividendes et les rachats d’actions. Ils offrent également aux investisseurs une couverture utile contre l’inflation


[1]   Free cashflow yield

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