Ressusciter le “put” de la Fed

  • Au moins sur les deux dernières décennies certains mouvements de marché ont été marqués par ce qu’on a jadis appelé le « put » de la Fed. C’est à dire, en faisant une l’analogie avec l’achat d’un put sur les marchés des options, que la banque centrale américaine agirait toujours (en assouplissant sa politique monétaire) afin d’éviter que les prix des actions ne baissent trop fortement.  Il semble bien que le mouvement de forte hausse des bourses des derniers jours se nourrit de cette idée. Ceci explique aussi la baisse des taux d’intérêt sur à peu près toutes les maturités. En même temps, il semble aussi que le marché corrige la baisse rapide des prix des action des deux derniers mois ainsi que la hausse massive des taux longs sur la période. Enfin, il n’est pas certain que les autorités monétaires, compte tenu du niveau encore élevé de l’inflation, même si elle baisse, aient voulu que le marché interprète avec autant « d’optimisme » leurs propos.
  • Nous pensons qu’effectivement nous sommes arrivés à la fin du cycle de hausses des taux, mais cette vue est associée à un scénario de croissance médiocre pour les trimestres à venir, des deux côtés de l’Atlantique. C’est cette décélération de l’activité, qui, d’après nous, permettra de ramener l’inflation vers 2%, et de desserrer l’étau des banques centrales. Ainsi, nous restons dubitatifs sur la possibilité d’un rebond très fort de indices boursiers à ce stade, sachant que la trajectoire économique devrait se traduire par la détérioration des résultats des entreprises. En particulier, vu les valorisations des actions outre-Atlantique, nous pensons que la dynamique des résultats pour les trimestres à venir ne les soutient pas. C’est pour cela que nous maintenons dans notre allocation un biais tourné vers les obligations en cherchant du rendement, tout en restant très sélectifs.
  • Notre scénario de décélération économique a été d’une certaine façon validé par le message des dernières statistiques sur l’état de l’activité dans le monde. Ainsi, le PMI composite global construit par la banque JP. Morgan et par S&P, qui regroupe l’activité dans le secteur manufacturier et dans les services, est ressorti plus faible qu’attendu. Dans les deux secteurs l’activité s’est nettement tassée, avec toujours une faiblesse prononcée en Europe.
  • Un des facteurs essentiels derrière cette décélération reste l’effet retardé du resserrement monétaire. L’accès au financement un peu partout devient plus difficile, alors que l’épargne jadis accumulée par les consommateurs au moment du Covid s’épuise ou n’est pas dépensée du fait d’un horizon qui devient plus incertain. Aux Etats-Unis, la dernière enquête auprès des banques a montré que l’accès au crédit reste difficile, que ce soit pour les ménages et les entreprises. Pour ces dernières les conditions se durcissent toujours, même si dans une moindre mesure par rapport  au trimestre précédent. En outre, la demande de financement bancaire, vu les coûts, reste faible, notamment pour les petites entreprises. 
  • En Europe, corroborant la dynamique dégradée de l’activité reflétée dans les enquêtes PMI, notamment dans l’industrie, la production industrielle et les commandes à l’industrie sont ressorties bien plus faibles qu’attendu en Allemagne.   En Chine, les derniers chiffres du commerce extérieur sont aussi venus confirmer les dynamiques qui continuent de soutenir l’activité. En effet, la reprise reste tirée par l’économie domestique, elle-même stimulée par la dépense publique (notamment au travers du tissu industriel d’Etat). Ainsi, les importations ont poursuivi leur parcours ascendant, avec pour la première fois en plus d’une hausse de celles-ci en glissement annuel. En même temps, la dynamique dégradée de l’activité industrielle mondiale, se traduit par des exportations en berne avec une demande qui reste déprimée.

L’entrée dans le dernier trimestre de l’année semble bien se faire avec une activité dégradée. En effet, avec maintenant la totalité des enquêtes PMI pour le mois d’octobre, on voit que nous avons eu une décélération marquée. Le PMI global composite de JP Morgan avec S&P, montre que l’activité stagne, l’indice se situant jute au niveau de 50, le seuil séparant l’expansion de la contraction. Outre le nouvel affaiblissement dans l’industrie qu’on a déjà souligné, la tendance favorable dans les services qui avait prévalu jusqu’ici dans certains pays semble perdre assez rapidement de sa force.

Fig.1 Activité mondiale : L’indicateur composite global produit par JP Morgan et S&P, regroupant les enquêtes PMI sur l’industrie et les services, stagne en octobre.

Fig 1

Il est difficile de voir quel serait le facteur qui pourrait redynamiser l’activité de manière durable à ce stade. Seul facteur qui pourrait apporter un peu de soulagement est une détente plus rapide des prix du pétrole, malgré les tensions géopolitiques actuelles. Néanmoins, cette détente reflèterait, davantage, à notre avis, une perte de vitesse de la demande globale, associée au ralentissement de l’activité mondiale. D’où notre idée d’une croissance qui restera relativement médiocre sur les quelques trimestres à venir.  
 
Un des facteurs essentiels derrière ce ralentissement reste évidemment les conséquences du resserrement monétaire qui se manifeste avec retard sur l’activité économique.  La dernière enquête auprès des banques américaines qui vient d’être publiée concernant les conditions de crédit pour le quatrième trimestre de l’année, montre que celles-ci se durcissent toujours, même si à un rythme moindre que le trimestre précédent.
 
Avec une croissance économique qui devrait ralentir et une politique monétaire qui reste restrictive, il est difficile des voir les banques assouplir les conditions de crédit, notamment envers les entreprises dans un avenir proche. 
 

Fig.2 Etats-Unis : L’enquête auprès des banques pour le quatrième trimestre pointe vers la persistance de conditions d’octroi de crédit contraintes pour les entreprises

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En fait, vu la montée très rapide du coût du crédit, la demande des entreprises reste faible, notamment concernant les plus petites entreprises. Certes, certaines, notamment les plus grandes, ont constitué des « bas de laine » quand les taux d’intérêt étaient bas, mais la pression va monter peu à peu pour retrouver le chemin de nouveaux financements, qui seront bien plus onéreux, et qui vont peser sur les finances des entreprises, outre la difficulté de trouver l’accès à ces nouveaux apports de liquidité.

Fig.3 Etats-Unis : Vu le coût des financements, la demande de crédit reste faible, notamment chez les petites entreprises.

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En Europe, les enquêtes PMI ont confirmé la mauvaise dynamique de l’économie. Les récents chiffres sur l’industrie allemande sont venus corroborer la dégradation de la situation, reflétée déjà dans le déclin du PIB au 3T23. Ainsi, l’activité industrielle a décéléré bien plus qu’attendu en septembre, se contractant de 3,7% en glissement annuel. En outre, les commandes à l’industrie restent médiocres en progressant nettement moins que prévu sur le mois de septembre (0,2%), soit au total avec une baisse de 4,3% en glissement annuel. 

Fig.4 Allemagne : L’industrie allemande continue de souffrir, avec une contraction de l’activité industrielle de 3,7% en glissement annuel en septembre

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La croissance chinoise reste toujours contrainte par le marasme dans le secteur immobilier. Néanmoins, l’économie maintient toujours un rythme d’activité qui semble satisfaire les autorités, même si elles ont pris la décision de porter un coup de pouce supplémentaire avec plus de dépense publique pour les trimestres à venir (un peu moins de 1 point de PIB). Cette croissance est notamment soutenue par l’appareil industriel d’Etat. Ceci s’est bien reflété dans la première croissance des importations chinoises en glissement annuel en octobre depuis plus d’un an, progressant de 3%, après une contraction de 6,3% le mois précédent. 
 
En revanche, la situation dégradée de l’activité industrielle au niveau mondial, avec une demande en berne, a encore pesé sur les exportations chinoises, qui se sont contractées bien plus qu’attendu de 6,4% en glissement annuel. 
 
Ainsi, à ce stade, on voit bien que la force de la croissance chinoise restera très dépendante de la volonté des autorités de donner une impulsion ou pas à l’activité, d’autant plus que le secteur immobilier reste plombé. Nous tablons toujours sur une croissance qui ralentira en 2024, par rapport à 2023, s’inscrivant en dessous des 5% visés par le gouvernement. 

Fig.5 Chine : La croissance est bien tirée par la demande de l’industrie chinoise (notamment par l’appareil industriel d’Etat), reflétée dans la hausse des importations

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