Thierry Crovetto, TC Stratégie Financière: “Il faut toujours garder en tête que l’objectif de la gestion de portefeuille est l’optimisation du couple rendement risque”

Thierry Crovetto, analyste financier indépendant spécialisé dans la sélection de fonds, partage dans ce papier son retour sur 2022, désormais dans le rétroviseur et ses perspectives pour 2023.


Eléments marquants de 2022

L’année 2022 a été historique à bien des égards. Voici quelques éléments importants qui ont marqués l’année :

Le retour de l’inflation au niveau mondial est sans doute le principal élément à retenir ; elle a légèrement ralenti en fin d’année après avoir dépassé les 10% en rythme annuel. Cela peut s’expliquer par des éléments structurels et des éléments conjoncturels.

Le taux d’inflation est le premier objectif de performance des investisseurs qui doivent avant tout préserver leur capital enterme réel c’est-à-dire leur pouvoir d’achat. Mais le rebond de l’inflation a eu de nombreuses conséquences sur les marchés.

L’écart entre le niveau de l’inflation US réalisée (US CPI) et le niveau d’inflation anticipée (US Break Even 2Y) n’a jamais été aussi élevé depuis 2008 ! Il peut s’interpréter comme la conviction des investisseurs d’un recul rapide de l’inflation et/ou d’un fort ralentissement de l’économie, comme en 2008…

Après une décennie de politique monétaire accommodante, les banques centrales deviennent plus restrictives pour luttercontre l’inflation. Elles ont peut-être démarré leur resserrement tardivement, espérant que l’inflation ne soit que temporaire, mais ce n’a clairement pas été le cas. On a ainsi assisté à une remontée des taux des banques centrales mais aussi à une réduction de leur bilan et donc à une réduction des liquidités.

Selon les projections des membres de la Fed et les Fed Funds Futures, les taux US pourraient grimper entre 4.50% et 5.25% en 2023 avant de redescendre.

De leur côté les taux européens qui étaient encore négatifs en début d’année sont attendus à 3.5% au plus haut de 2023 contre 2.1% actuellement.

La hausse des taux des banques centrales a mené à une normalisation de la plupart des taux obligataires entrainant la fin des taux de rendements négatifs et à un Krach obligataire.

Les obligations à taux de rendement négatif (une anomalie financière !) qui représentaient plus de 17.7 Tn$ en 2020 et encore 11.3 Tn$ fin 2021 ont désormais une capitalisation inférieure à 1 Tn$.

Le rendement des obligations Investment Grade (IG) européennes est passé en 0.2% fin 2021 à 3.2% et celui des obligations High Yield (HY) est passé de 3% à plus de 8% (plus haut que pendant la crise Covid en mars 2020).

Il convient de rappeler que ces fortes hausses de taux se sont traduites par des baisses des marchés obligataires d’ampleur rarement vue dans l’histoire. La bulle obligataire a ainsi éclaté…

La hiérarchie des risques supposés des différentes classes d’actifs a été mise à mal ; ainsi, les obligations Investment Grade réputées comme un actif très sûr sont celles qui ont le plus baissées. Les actions ont reculé comme les obligations High Yield, tandis les Hedge Funds ont mieux résisté. Seules les matières premières ont nettement progressé. Les portefeuilles traditionnels avec des profils défensifs ont ainsi perdu autant voire plus que des profils dynamiques. Cela met en relief l’importance de la gestion du risque des portefeuilles…

On constate que les taux ont progressé sur toutes les maturités mais davantage sur la partie courte ; les courbes de taux se sont inversées en Europe comme aux US ; ces inversions sont souvent annonciatrices de récession.

La diversification traditionnelle des portefeuilles repose sur une corrélation habituellement négative entre les actions et les obligations. Mais ce n’est pas le cas actuellement : cette corrélation est redevenue positive, notamment entre les valeurs de croissance (notamment le Nasdaq) et les obligations d’état.

Les portefeuilles 60/40 US (composés à 60% en actions et à 40% en obligations) ont connu leur plus forte baisse depuis 2008.

La hausse des taux consécutive au retour de l’inflation a été bénéfique à la Value en relatif ; ainsi, le MSCI World Value a surperformé de 28% le MSCI World Growth en 2022 ! Pour rappel le MSCI World Growth avait surperformé le MSCI world Value de 180% au cours des 10 années précédentes. Ce n’est sans doute que le début du rattrapage.

De nombreuses classes d’actifs sont revenues à des valorisations proches de leur moyenne historique. Cependant, il subsiste une grande dispersion de valorisation entre certaines régions, secteurs, styles…

Ainsi l’écart de valorisation entre le MSCI Europe Value et le MSCI Europe Growth reste à un niveau extrême de décote. Le rattrape de 2022 n’a pas réduit cet écart de façon significative. Même constat lorsque l’on compare la valorisation du S&P 500 et celle du MSCI World ex.USA.

On peut également comparer les primes de risque des différents marchés actions avec l’Excess Long Term Price EarningYield ; les taux US étant significativement plus élevés que les taux japonais, l’écart des primes de risque est très significatif.page7image43717296  page7image43712512

Comme on pouvait s’y attendre, en période inflationniste, les matières premières ont été les grandes gagnantes de l’année2022, bénéficiant également des tensions de l’offre liées à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Mais il faut garder en tête, que sur une très longue période, la performance des matières premières a été équivalente à celle des actions. Elles surperforment les actions en période de forte inflation et sous-performent en période de faible inflation. La corrélation des actions et des commodities est assez limitée.

C’est assez similaire pour l’or à une nuance près : l’or performe mieux quand les taux réels sont négatifs ou très faibles. La correction de l’or entre mars et septembre correspond à la remontée des taux réels US.

La fin de l’argent gratuit a fait éclater certaines bulles. On a déjà cité les obligations d’Etat et Investment grade mais c’est également le cas des Cryptos et des sociétés technologiques non profitables qui ont reculé de plus de 60% !

Un des paradoxes de 2022 est le faible niveau de la volatilité des actions tandis que celle des obligations des devises aprogressé plus significativement jusqu’en octobre.


Perspectives pour 2023

C’est toujours un exercice très difficile, de faire des prévisions macro-économiques et sur la performance attendue sur lesprincipales classes d’actifs. On peut cependant avoir quelques convictions mais aussi admettre qu’on est loin de tout pouvoir prévoir. Peu de stratégistes avaient anticipé ce qu’il s’est passé en 2020 et 2022 !

D’un point de vue macro-économique, on peut résumer le principal risque pour 2023 par un mot : stagflation. En effet, onprévoit un ralentissement économique, pouvant aller jusqu’à la récession dans certains pays. Une baisse de l’inflation est également attendue, mais restant bien au-delà des objectifs des banques centrales. Ce recul est la conséquence des politiques monétaires plus restrictives, des effets de base de certaines matières premières ainsi que du ralentissement économique. Les banques centrales vont donc sans doute devoir arbitrer entre inflation et récession…

Mais il ne faut pas espérer voir l’inflation revenir à son niveau d’avant 2021, car des éléments structurels subsisteront : transition énergétique, relocalisation / moins de globalisation, protectionnisme, raréfaction de certaines ressources, tensions géopolitiques… De même, si on compare la situation actuelle à celle des années 70, une deuxième phase de forte inflation pourrait avoir lieu à partir de 2024/2025…

Selon les prévisions de Bloomberg Economics, il devrait également y avoir une disparité entre les différentes zones géographique en ce qui concerne l’inflation et la croissance économique.

En ce qui concerne les prévisions de performance des principales classes d’actifs, Robeco se risque chaque année à cet exercice pour les 5 prochaines années. Selon leur prévision, 2023-2027 va être compliqué pour les investisseurs EUR.


Quelques pistes d’investissement

Il faut toujours garder en tête que l’objectif de la gestion de portefeuille est l’optimisation du couple rendement risque. Première constatation : le taux sans risque est remonté, redevenant nettement positif. Il faudra toujours se demander, avant d’investir, si le risque pris est correctement rémunéré.

Les investisseurs devront aussi s’interroger sur la pertinence de conserver des crédits lombards, dont le coût augmente, pour avoir du levier sur leur portefeuille.

On peut prendre le cas des obligations High Yield. Leur taux de rendement a bien progressé en 2022, ainsi que, dans une moindre mesure leur spread de crédit. Ce dernier, qui est là pour compenser le risque de défaut, est désormais proche de la moyenne historique. Mais en cas de récession les défauts augmentent nettement ainsi que les spreads de crédit. Donc si l’on a une récession en 2023, les obligations High Yield, malgré leur taux élevé ne sont pas forcément attractives.

C’est sensiblement la même analyse pour les actions. Leur valorisation est revenue proche de leur moyenne historique, mais elles deviendraient chères en cas de récession, ce qui entrainerait une baisse des profits des sociétés.


En bref

La remontée des taux, la fin de l’argent gratuit et l’arrêt de la planche à billet des banques centrales devraient être favorables à la gestion active sur les actions et sur les obligations ainsi qu’aux stratégies d’allocation d’actifs flexibles.

L’environnement devrait être favorable pour de nombreuses stratégies alternatives comme les Global Macro, Long/Short Equity, Equity Market Neutral, Long / Short Crédit, Long/Short Commodity qui devraient bénéficier du retour de la dispersion, de la volatilité et de la rémunération du cash de nouveau positive.

Les obligations d’Etat à duration courte / moyenne, les obligations Investment Grade et les obligations indexées à l’inflation ont également tout à fait leur place dans la partie défensive des portefeuilles.

Pour la partie dynamique des portefeuilles, on pourra notamment considérer les actions japonaises (en Yen, non couvertes) et les actions émergentes.

Enfin la gestion du risque reste essentielle pour les investisseurs. La diversification des portefeuilles doit être quantitative mais également qualitative. La combinaison de fonds faiblement corrélés entre eux est la clé pour le contrôle des risques. Cela fonctionne très bien dans les stratégies alternatives.

Les stratégies Negative Deviation Target appliquées au crédit (par exemple le High Yield Nordique) sont une bonne illustration du contrôle des risque.

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