Trois raisons pour lesquelles le resserrement monétaire de la Fed n’a pas entraîné de récession aux Etats-Unis

Alors que la quasi-totalité des observateurs s’attendait à ce que le resserrement monétaire de la Fed (le plus fort depuis 40 ans) provoque une récession aux États-Unis, cette dernière ne s’est pas (encore) produite. On peut évoquer trois grandes raisons pour cela.

RAISON N°1 : le resserrement monétaire de 2022/2023 suit l’assouplissement monétaire puissant de 2020/2021, qui continue de produire ses effets.

Selon l’expression célèbre de Milton Friedman1, fréquemment reprise par les banquiers centraux, « les changements monétaires ne produisent leurs effets qu’après un retard considérable et sur une période longue et ce retard est variable. » Les modèles économétriques des banques centrales concluent généralement que les effets des changements de taux directeurs se font sentir sur l’économie avec un retard de 12 à 18 mois. Christine Lagarde a même évoqué récemment un retard de 18 à 24 mois. En conséquence, le plus fort du resserrement monétaire de la Fed ayant eu lieu au 2ème semestre 2022, ses effets négatifs sur l’économie devraient surtout se faire sentir au 2ème semestre 2023 et au début de l’année 2024.

S’il est attendu que les effets du resserrement monétaire de la Fed sur l’économie se produisent avec retard, ceux-ci sont (au moins temporairement) atténués par le très fort assouplissement monétaire de 2020/2021. En effet, la Fed avait brutalement baissé ses taux directeurs de 150 bps en mars 2020, au début de la crise COVID, et procédé à une opération massive de QE : il convient de souligner que la Fed achetait encore des titres du Trésor et des MBS au début de l’année 2022 ! L’une des grandes conséquences de cette politique d’assouplissement a été une vague de refinancement de crédits immobiliers, très importante dans son ampleur et dans sa durée. Des millions de ménages ont ainsi refinancé leurs crédits immobiliers à des taux fixes très bas en 2020 et 2021. Le resserrement monétaire de 2022 et 2023 a donc des effets très limités sur ces derniers, la principale conséquence étant qu’ils ont une forte incitation à ne pas déménager (vendre leur logement actuel pour en acheter un autre impliquerait de souscrire un crédit à des taux d’intérêt bien plus élevés).

Enfin, le fort assouplissement monétaire de 2020 et 2021, couplé à d’autres facteurs, a contribué à une forte augmentation du patrimoine des ménages (immobilier, actions). Les effets « richesse » ont été durables car les prix de l’immobilier n’ont que très peu baissé et car les marchés actions sont bien plus hauts qu’avant la crise COVID.
Les effets du resserrement monétaire de 2022 et 2023 sont plus largement émoussés par l’assouplissement de 2020 et 2021.

RAISON N°2 : le durcissement monétaire est contrecarré par une politique budgétaire largement expansionniste.

S’il est attendu que le durcissement monétaire pèse sur l’activité, la politique budgétaire américaine soutient cette dernière. Les deux premières années de la présidence Biden ont été marquées par au moins trois plans d’investissement très ambitieux :

  • Le plan d’infrastructures bipartisan (Infrastructure Investment and Jobs Acts, IIJA), adopté en novembre 2021, pour lequel a été effectué un chiffrage de 550 Mds $ de nouvelles dépenses sur 5 ans,
  • Le plan de décarbonation de l’économie (Inflation Reduction Act, IRA), adopté à l’été 2022, pour lequel a été effectué un chiffrage d’environ 440 Mds $ de nouvelles dépenses (certaines estimations sont trois fois supérieures…),
  • Le plan d’investissement dans les semiconducteurs (CHIPS and science Act), adopté à l’été 2022, pour lequel a été effectué un chiffrage de 280 Mds $ de nouvelles dépenses sur 10 ans.

Certaines des estimations des dépenses occasionnées par ces programmes sont incertaines, notamment car certains crédits d’impôts instaurés ne sont pas plafonnés, et il est donc difficile d’avoir une idée précise de l’impact de ces plans sur la croissance. Toutefois, on ne peut que constater que l’investissement en structures industrielles a très fortement augmenté : en effet, il a cru de 63 % en termes réels sur les 12 derniers mois ! La contribution de l’investissement dans les sites de production industriels dépasse 0,4 point sur les 2,1 % de croissance au T2 : surtout, cette contribution a crû régulièrement au fil des derniers trimestres. En particulier, les investissements ont été forts récemment dans les secteurs informatiques, électroniques et électriques. Par exemple, les investissements dans les semi-conducteurs ont été stimulées par les incitations du CHIPS Act et les investissements dans le secteur électrique ont été stimulées par les crédits d’impôt de l’Inflation Reduction Act. Au passage, ces développements illustrent à quel point les investissements dans les thèmes de long terme (transition énergétique, souveraineté économique par exemple) peuvent soutenir la croissance économique d’aujourd’hui.

Partager cette publication
URL de partage
Précédent

L’économie chinoise est-elle en train de s’effondrer ?

Suivant

Capital Insight Likes : LBRTY®, la stratégie centrée sur les droits civils et la démocratie signée TOBAM

Accès Premium actif !

Vous avez désormais accès à toutes les publications Premium.